Un excellent article de Courrier International, sur la campagne Israelienne. Je trouve frappante l’argumentation, qui fleure tellement bon le fascisme des années 30…

Aujourd’hui, le parti Israël Beiteinou réclame des preuves de loyauté aux Arabes. Et, demain,à tout Israélien en désaccord avec ses idées ?

Le slogan “Bli ne’emanout, ein ezrahout” [Sans loyauté, pas de citoyenneté] appartient aux régimes les plus sombres de l’Histoire, des régimes qui emprisonnent, torturent, envoient aux travaux forcés ou font “disparaître” les gens suspectés de déloyauté. Dans les pays soumis à ces régimes, les citoyens vivent dans la peur. Lorsqu’ils se racontent des blagues, c’est en cachette car, sous ces régimes, des programmes comme Aretz nehderet [“Un pays magnifique”, les Guignols de l’info israéliens] sont impensables. Et la peur de parler et d’être dénoncé par des amis ou par des voisins est totale.

“Sans loyauté, pas de citoyenneté”. A première vue, quoi de plus logique ? Pourquoi le pays devrait-il choyer ceux qui font preuve d’infidélité à son égard ou qui lui veulent du mal ? Pourtant, ce slogan est un piège qui ne nous promet qu’une vie de peur. Car, dans le fond, qui sera habilité à déterminer notre degré de loyauté ? Comment fera-t-on la distinction entre la déloyauté et le désaccord politique avec une position officielle ? Dès lors que cette déloyauté sera définie par les autorités, toute forme de critique sera interprétée comme de la déloyauté.

“Lieberman ne parle pas de nous [les Juifs]”, pensent la plupart des Israéliens. Et pourtant, si. Le programme d’Israël Beiteinou a le mérite de ne rien cacher. Dans le chapitre “Citoyenneté et égalité”, sous le titre “La fermeté contre la subversion”, il est écrit : “Nous ferons le nécessaire pour interdire les partis et les organisations dont les paroles ou les actes constituent une atteinte à l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif sioniste.” Quant aux spots menaçants d’Israël Beiteinou, quels exemples de déloyauté montrent-ils ? Une manifestation contre l’opération Plomb durci [la guerre à Gaza en janvier 2009] organisée devant l’Université hébraïque de Jérusalem ! C’est clair et net. Où se situe le seuil de loyauté ? Au Balad [parti autonomiste arabe] ? Au Hadash [ex-communiste judéo-arabe] ? Au Meretz [social-démocrate et pacifiste] ? Ou carrément à Kadima [le parti centriste de Tzipi Livni], qui a lancé des négociations sur la restitution du Golan ?

Avez-vous un jour donné de l’argent au mouvement La Paix maintenant ? Avez-vous déshonoré Israël en participant à la manifestation de masse contre les massacres de Sabra et Chatila [1982] ? Avez-vous soutenu les accords d’Oslo lors de la manifestation du 4 novembre 1995 [où fut assassiné Yitzhak Rabin] ? Avez-vous soutenu l’évacuation des colonies de Gaza [2005], c’est-à-dire fait l’apologie de la cession de territoires à l’ennemi et donné une prime au terrorisme ? Ce n’est pas le fruit de mon imagination. Le 2 octobre 2007, dans une interview accordée à [la radio militaire] Galei Tsahal [à l’occasion des 40 ans du Goush Etzion, un bloc de colonies à l’ouest de Bethléem], Lieberman, alors ministre des Questions stratégiques, s’en était pris vertement à ceux qui militaient pour le boycott des artistes soutenant la colonisation de peuplement. “Tous nos ennuis, tous nos problèmes, toutes nos victimes, c’est à cause de ces gens. Nos problèmes ne viennent ni du monde extérieur ni de la communauté internationale, mais de ces gens.”

Une fois que nous serons engagés sur ce terrain glissant, il sera difficile de remonter la pente. Au début, la loi ne s’en prendra qu’à la minorité arabe. Mais, très vite, ce sera chaque citoyen qui se demandera s’il met en danger son emploi ou sa famille. A partir de là, seuls des gens issus de l’élite israélienne seront encore capables de protester, avant d’être eux aussi réduits au silence. C’est ce qui s’est passé en Argentine, en Chine, en Iran, en URSS et, oui, en Allemagne.

Que le parti de Lieberman soit l’un des piliers de la future coalition ou qu’il dirige l’opposition, ses lois sur la loyauté finiront bien par être votées. Et si la Cour suprême s’avise de l’en empêcher, il tentera de restreindre ses compétences. Tout simplement parce qu’Israël Beiteinou prône la restriction des droits les plus élémentaires sur lesquels se fonde toute société démocratique, à commencer par la liberté d’opinion. Et, si l’on supprime ces droits, il n’y a plus de démocratie.

Léon Deouell – Professeur de psychologie à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Yediot Aharonot

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