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A la dérive, par Paul Krugman
Dans les premières mois de cette crise nous écrivions que la culture économique des responsables politiques américains, leur foi inébranlable dans les dogmes de l’école de Chicago, les rendaient peu aptes à comprendre la situation et donc à agir efficacement. L’équipe constituée par Obama semble atteinte du même mal. Nationalisation reste un mot tabou, honteux, que la nouvelle administration se refuse à évoquer, alors même que le cours de l’action de la banque Citigroup flirte avec le dollar – c’est à dire l ’éviction de la cote new yorkaise – et que de tous côtés les appels se font de plus en plus pressants pour une prise de contrôle publique. Ce blocage psychologique, ce vertige devant la transgression, se traduisent en acte par un aveuglement qui confine à l’absurde. On ne peut entendre la récente déclaration d’Obama affirmant que le privé est « plus efficace » pour gérer le système bancaire sans ressentir un malaise devant cette forme d’humour involontaire. Au nom de quoi faudrait-il donc continuer à révérer des idoles qui pourtant s’effondrent avec fracas sous nos yeux, entraînant dans leur chute de trop nombreuses victimes ? Car il y a urgence à agir. Les politiques menées sur les deux rivages de l’Atlantique ne sont pas à la hauteur des périls, avertit Krugman, qui déplore également la courte vue dont font preuve les dirigeants européens devant le risque systémique posé par l’Europe de l’Est et se demande dans quel monde vit Jean Claude Trichet lorsqu’il estime que le risque déflationniste n’est pas à l’ordre du jour. Dans une séquence de déflation de la dette, tout délai, tout retard à agir, se traduit par une contagion d’un processus de liquidation généralisé qui gagne peu à peu en force et en élan et rend plus difficile le retournement de cycle. Il faut donc trancher dans le vif au plus tôt, trier les banques, constater les faillites, et le cas échéant nationaliser. Roubini estime qu’il faudra sans doute six mois pour que l’inévitable soit enfin accepté. Si c’est le cas, ce sont six mois de perdus alors que gagne l’incendie.
Par Paul Krugman, New York Times, 2 mars 2009
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Les raisons du déclin de l’économie US, par Paul Craig Roberts
Paul Craig Roberts, qui fut sous secrétaire au Trésor de Reagan, est un homme de droite, partisan convaincu des politiques de l’offre. Pourtant, rien ne justifie pour lui les politiques du laisser faire débridé qui ont conduit à la perte de substance de l’économie américaine, si ce n’est une certaine illusion de toute puissance allant de pair avec la situation prééminente dont jouissaient les USA. Les promesses des tenants de la mondialisation n’ont pas été tenues, dit-il, au contraire. Les délocalisations, présentées comme un processus naturel de substitution entre la « vieille économie » et celle de l’innovation et du savoir, ont eu pour résultat la stagnation des revenus – donc l’endettement excessif – de la plus grande partie de la population à l’exception des « super-riches », et le creusement de déficits abyssaux, qui sont tous deux à l’origine de cette crise. Au delà du constat, Roberts propose quelques mesures radicales – voire aussi définitives qu’un verdict de Fouquier Tinville – pour tenter de juguler la crise : l’annulation des CDS, la suspension de la règle de comptabilisation des actifs au prix du marché, l’interdiction de la vente à découvert sur les marchés baissiers et sur les devises. Un dernier point. Le protectionnisme dont il se réclame a mauvaise presse. Et lorsqu’il désigne ensemble la mondialisation et les visas de travail accordés aux étrangers comme responsables de la pression à la baisse sur les salaires, il prête le flanc à l’accusation de xénophobie, si souvent présente dans ce débat. On ne peut pourtant se contenter d’une vision uniquement morale sur cette question. Ce serait méconnaître le fait que les niveaux de prix – i.e. des salaires – ne reflètent pas seulement la concurrence libre et non faussée, comme le dit la vulgate, mais aussi l’état de rapports de force sociaux, dont la préservation de l’équilibre est éminemment nécessaire au développement harmonieux des sociétés. En s’effarouchant devant la perspective d’une limitation de la concurrence internationale à laquelle sont soumis les salariés, en condamnant par avance comme délétère toute référence à l’idée de nation on ignore – ou feint d’ignorer – un déterminant fondamental. Le socle de la démocratie, du vivre ensemble, c’est ce territoire où se définit la citoyenneté concrète, régi par une loi et une constitution commune, par des droits et des devoirs partagés, et protégé par les institutions. La position consistant à abstraire de cette définition l’activité humaine fondatrice qu’est le travail n’est à notre sens tout simplement pas tenable.
Par Paul Craig Roberts, Vdare, 23 février 2009
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L’éclatement d’une bulle de crédit de dimension historique, par Doug Noland
Alain Minc a affirmé cette semaine que cette crise n’était pas si considérable, que somme toute une baisse de 2% du PIB équivalait à un retour à l’année 2007, et que l’action résolue des gouvernements et des banquiers centraux avait évité le pire. Si le rebond avait lieu immédiatement, sans doute pourrait-on lui donner raison. Mais les annonces de pertes énormes continuent de se succéder à un rythme soutenu et la dégradation massive du niveau d’activité dans de nombreux pays et secteurs économiques n’augure pas d’un retournement de cycle rapide. Non, il ne s’agit pas d’une récession « standard. » Ce qui se déroule sous nos yeux, c’est un processus de liquidation d’une gigantesque bulle de crédit, qui concerne bien plus que l’immobilier américain. Durant la dernière décennie, ce sont non seulement les ménages finançant leur logement, mais aussi l’économie américaine dans son ensemble qui a eu recours massivement à la dette. Dans son bulletin de veille hebdomadaire, Doug Noland se penche sur les chiffres de la Fed qui donnent le détail de ces bulles de dettes qui sont en train de crever aujourd’hui. Globalement, l’en cours du crédit aux USA est passé de 18 000 à 45 000 milliards entre 1995 et 2007, soit une croissance de 170% alors que dans le même temps le PIB n’augmentait que de 87%. De tels chiffres peuvent sembler dépasser l’entendement. Pour mémoire, rappelons que le PIB US est de 14 500 milliards et de 50 000 milliards pour le monde entier. De toute évidence, l’apparente bonne santé de l’économie américaine dissimulait un recours intensif au crédit. L’économiste Hans Magnus a calculé que chaque dollar de PIB US supplémentaire se traduisait par 4,5 dollars de crédit en 2007, contre 1,5 entre 1950 et 1980.
Par Doug Noland, Prudent Bear, 26 février 2009
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Récession en L et dé-mondialisation, par Wolfgang Münchau
Münchau estime que « nous sommes à l’heure actuelle quelque part au milieu de la barre verticale du L. » Mais, avertit-il, « c’est l’horizontale qui est la plus effrayante. » La liquidation de la dette américaine va se traduire par une phase d’atonie prolongée de plusieurs années, le temps d’apurer les bilans, nous dit-il. Dans le grand livre de comptes de l’économie mondiale, les déficits des uns sont les excédents des autres. Le désendettement des ménages et la réduction des déficits US se traduiront donc par une baisse symétrique de l’activité des pays exportateurs, au premier rang desquels la Chine, l’Allemagne et le Japon. Faute de pouvoir tabler sur un redémarrage proche, ceux-ci n’auront d’autre choix que de réorienter leur économie vers la demande intérieure, juge Münchau.
Par Wolfgang Münchau, Financial Times, 9 mars 2009
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Le système bancaire US est insolvable, par Nouriel Roubini
Roubini met une nouvelle fois en garde contre le risque de récession – voire de dépression – en L, qui semble se confirmer avec une contraction au quatrième trimestre 2008 de 6% du PIB aux USA et en Europe, de 12% au Japon, et de 20% en Corée. Comme la plupart des économistes, il estime que les autorités européennes n’ont pas pris conscience de la gravité des enjeux et font preuve d’une dangereuse frilosité en se refusant à agir résolument et rapidement. La situation américaine n’est pourtant guère meilleure. Sur les 800 milliards du plan de relance d’Obama, 200 seulement seront alloués cette année, sur lesquels une centaine devraient disparaître en épargne des ménages. Au total, l’effet de la relance serait donc inférieur à 1% du PIB en 2009. Mais il y a plus encore, l’économie mondiale ne repartira pas tant que de profondes reconversions n’auront eu lieu tant chez les exportateurs qu’aux USA. La système bâti sur la surconsommation et le déficit américain d’une part, et les économies exportatrices d’autres part, ne repartira pas en l’état, car le désendettement des ménages américains sera un processus long et douloureux. Dans l’immédiat, la restructuration du système financier aux Etats-Unis est plus que jamais nécessaire. Avec le ralentissement économique, les pertes pourraient atteindre 3600 milliards de dollars, estime-t-il. Conclusion : le secteur est en état de faillite, et la nationalisation s’impose, sans quoi les sommes gigantesques apportées par l’Etat ne servent qu’à tenter de protéger les actionnaires et les créanciers, pour le moment en pure perte.
par Nouriel Roubini, Forbes, 5 mars 2009
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Fin de partie pour les déficits par Kenneth Rogoff
Pour l’heure, personne n’a encore d’idée précise du moment où finira la crise financière mondiale. Mais une chose est sûre : les déficits budgétaires atteignent des sommets. Et il faudra convaincre les investisseurs d’accumuler des montagnes de nouveaux bons du Trésor.
Même si les gouvernements essaient de faire avaler leur dette aux épargnants nationaux, en utilisant, par exemple, leur influence grandissante sur les banques pour les forcer à avoir une quantité disproportionnée de papiers d’Etat, ils finiront eux aussi par payer des taux d’intérêt de plus en plus élevés. Dans deux ans, les taux sur les bons du Trésor américains à long terme pourraient facilement augmenter de 3 % à 4 %.
Ce renchérissement doit permettre de compenser des investisseurs qui auront à la fois à prendre de plus en plus de bons d’Etat et, donc, à prendre de plus en plus de risques face aux menaces d’inflation ou de défaut de paiement des gouvernements.
Historiquement, le montant de la dette publique double, même après correction pour inflation, les trois années qui suivent une crise. Nombre de nations, grandes et petites, sont aujourd’hui bien parties pour confirmer cette donnée historique.
Le gouvernement chinois a clairement indiqué qu’il utiliserait tous les moyens nécessaires pour soutenir la croissance en cas d’effondrement des exportations. Les Chinois disposent d’une réserve de 2.000 milliards de dollars en devise forte pour tenir leur promesse.
Le nouveau budget du président Barack Obama prévoit un déficit astronomique de 1.750 milliards de dollars. Même les pays qui ne se sont pas lancés dans la course effrénée aux dépenses voient leurs excédents chuter et leurs déficits monter en flèche, principalement en raison de la diminution des recettes fiscales.
En fait, peu de gouvernements ont présenté des prévisions budgétaires réalistes car ils s’appuient en général sur des scénarios trop optimistes. Malheureusement, en 2009, la situation économique mondiale ne sera pas rose. La production américaine des Etats-Unis et de la zone euro a décliné, apparemment, d’un taux annualisé d’environ 6 % au quatrième trimestre 2008 ; le PIB du Japon a peut-être baissé de deux fois ce taux.
La Chine a affirmé que son PIB a augmenté de 6 % à la fin de l’année dernière. On peut en douter car les exportations se sont effondrées dans toute l’Asie, y compris en Corée, au Japon et à Singapour. Il est probable que l’Inde et, dans une moindre mesure, le Brésil s’en sortent un peu mieux. Cependant, peu de marchés émergents ont atteint un stade auquel ils peuvent résister à un effondrement soutenu des économies développées et encore moins jouer les moteurs d’une reprise économique mondiale.
La production mondiale est au bord du précipice en 2009. Avec l’assèchement du crédit, beaucoup de petites et moyennes entreprises éprouvent des difficultés pour obtenir les financements minimaux pour simplement maintenir des stocks et vendre.
En toute probabilité, nombre de pays verront leur production baisser de 4 % à 5 % en 2009. Pour certains, la chute sera voisine d’une dépression, c’est-à-dire de plus de 10 %. Pis encore, à moins que les systèmes financiers ne rebondissent, la croissance pourrait être décevante pendant des années, en particulier dans les pays les plus touchés, comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Irlande et l’Espagne.
Les pays qui ont des taux de croissance à l’européenne pouvaient supporter une dette publique égale à 60 % du PIB lorsque les taux d’intérêt étaient faibles. Or, avec un endettement de 80 % à 90 % du PIB dans une multitude de pays et la hausse prévisible des taux d’intérêt, on peut s’attendre au pire. La plupart de ceux qui amassent d’énormes dettes pour sauver leurs banques n’ont que de faibles perspectives de croissance à moyen terme, ce qui soulève de réelles questions d’insolvabilité et de durabilité.
Par exemple, l’Italie a pu longtemps faire face à une dette publique supérieure à 100 % tant que les taux d’intérêt étaient faibles. D’autres pays, tels l’Irlande, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, qui ont commencé avec une position budgétaire bien plus solide, ne seront pas mieux lotis quand la crise se dissipera.
Les taux de change sont une autre inconnue. Les banques centrales asiatiques se cramponnent toujours nerveusement au dollar. Pourtant, puisque les Etats-Unis empruntent et font tourner à plein régime la planche à billets, l’euro pourrait s’apprécier vis-à-vis du dollar dans deux ou trois ans… à condition qu’il existe toujours.
A mesure qu’augmenteront leurs dettes et que s’éternisera la récession, nombre de gouvernements s’efforceront sûrement d’alléger leur fardeau par le biais de la répression financière, d’une inflation plus élevée, de défauts de paiement ou d’une combinaison des trois. Malheureusement, l’issue de la grande récession des années 2000 ne sera pas belle à voir.
Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du FMI, est professeur d’économie et de politiques publiques à l’université d’Harvard.
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