Par Maitre Eolas

http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/10/29/Pourquoi-je-veux-un-habeas-corpus-en-France

La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés. Elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir : mais c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le diroit ! la vertu même a besoin de limites.

Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.

Montesquieu, L’Esprit des Lois, XI, chap.4.

Voilà pourquoi, chers confrères, le combat continue. Nous avons eu la peau de la garde à vue sans avocat, même si, à leur grand déshonneur, les juges français ont décidé de faire de la nécromancie avec elle le temps que le législateur daigne se pencher sur le respect de nos droits. Mais n’oublions pas l’autre message que nous a envoyé la Cour en mars dernier. Oh, avec encore moins de succès. La défense de demain (allégorie)

Souvenez-vous de l’arrêt Medvedyev. Lui aussi condamne la garde à vue actuelle en France, et là, aucune solution n’est apporté par le projet de loi de madame Alliot-Marie, qui pourtant ne trouve pas de mots assez laudatifs pour se féliciter elle même.

Rappelons que la garde à vue est décidée souverainement par un officier de police judiciaire (OPJ), qui désormais n’a bien souvent d’officier que le nom, puisqu’un simple gardien de la paix peut être OPJ (et je vous rappelle que pour être gardien de la paix, le bac suffit). Le seul contrôle prévu par la loi est un contrôle du parquet. L’OPJ doit informer dans les meilleurs délais le procureur de la République de cette mesure. Concrètement, dans chaque ressort de tribunal de grande instance, un procureur est de permanence 24h/24. Il peut donner l’ordre de mettre fin à la garde à vue à tout moment.

Ca, c’est la théorie. Oh, je ne doute pas que les procureurs qui me lisent ne manqueront pas de me dire qu’il leur arrive régulièrement d’ordonner la levée de  gardes à vue qui ne leur semble pas s’imposer. Ce sont d’excellents procureurs. On les reconnaît d’ailleurs au fait qu’ils lisent mon blog (quand ils n’y écrivent pas). Mais c’est loin d’être une généralité, je vais y revenir.

D’une part, la réalité de ce contrôle, en tout cas à Paris, est largement illusoire. Un OPJ m’a ainsi un jour expliqué benoîtement que l’information d’une nouvelle garde à vue, de nuit, se faisait par fax au parquet, à la section P12. Qui la nuit est déserte. Concrètement, si le fax est bien envoyé immédiatement (avec copie de l’accusé de réception au dossier), il n’est découvert qu’à l’ouverture des bureaux, vers 9 heures le lendemain. Bien sûr, un procureur peut être joint, sur le portable de la  permanence (dont je me suis procuré le numéro). Mais la consigne est de n’appeler qu’en cas de vraie urgence, ce qui s’entend essentiellement par dossier criminel, ou médiatique. Le procureur doit pouvoir dormir. Le respect de la loi attendra les heures de bureau. Et oui, chers confrères, voilà ce qu’on fait à Paris des garanties de  l’article 63.

D’autre part, et cela est valable pour toute la France, se pose un problème de taille, qui naturellement est nié tant par le parquet que par le Gouvernement (ce Gouvernement a pour politique de ne pas résoudre les problèmes mais de les nier). Le parquet est juge et partie. C’est le même magistrat qui est chargé de juger la légalité et l’opportunité de la privation de liberté qui va ensuite soutenir l’accusation à l’audience. Il est juge de la mesure qui vise uniquement à lui fournir les preuves dont il a besoin. On imagine l’objectivité et l’impartialité. Le garde des Sceaux bredouille devant tous les micros qui lui passent sous le nez que la suppression du juge d’instruction s’impose car il est juge et partie, ce qui est faux, pour confier la conduite de toutes les enquêtes au parquet, qui, lui, est bel et bien juge est partie. Avouez que pour ce qui est de se moquer de vous, ça se pose un peu là.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a donc condamné la France (deux fois) pour ce système, qui ne donne au gardé à vue aucun accès à un magistrat indépendant. Chaque fois que je soutiens des conclusions fondées sur Medvedyev, le parquetier d’audience est vexé comme un pou. “Comment la défense ose-t-elle dire que je ne serais pas un magistrat indépendant, je suis outragé, la Constitution le dit alors c’est vrai.” D’abord, la Constitution, on sait la tenir à l’écart quand ça arrange les autorités. Ensuite, ce n’est pas la défense qui le dit, c’est la CEDH. On sait quelle attention on lui prête en France, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter.

124. Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention.

L’arrêt Medvedyev, dans le texte.

Ensuite, le fait que le parquet n’est pas indépendant n’est pas une nouveauté. Il a une organisation hiérarchisée, et un substitut qui n’obéit pas  aux ordres de son procureur s’exposerait à des sanctions disciplinaires. Heureusement, cela ne lui vient même pas à l’esprit. En haut de la pyramide se trouve d’ailleurs le Garde des sceaux, et les plus hauts parquetiers sont nommés en Conseil des ministres, comme les préfets.

Enfin, nul ne peut nier que c’est bien le parquet la partie poursuivante à l’audience. Je ne connais pour ma part aucune matière où les libertés fondamentales d’une partie sont assurées par son adversaire, avec comme seule la garantie le fait que cette dernière déclare la main sur le cœur : “monsieur, je ne vous permets pas de douter de moi”. C’est un peu léger, s’agissant de votre liberté, vous ne trouvez pas ?

Donc, notre prochain combat, qui sera lui aussi gagné à la fin, sera l’habeas corpus, c’est-à-dire la possibilité pour toute personne gardée à vue de soumettre à un juge un recours qui devra être examiné avec toutes les garanties du procès équitable, permettant de contester aussi bien la légalité que l’opportunité de la mesure. Pouvoir simplement demander à un juge : “Mettez fin à ma garde à vue, elle ne s’impose pas”. L’arrêt Medvedyev, rendu en Grande Chambre et définitif, l’impose expressément et on ne peut plus clairement (la Cour a compris qu’il fallait parler lentement, fort et avec des mots courts et simples aux autorités françaises).

Tant qu’il n’y aura pas de telles garanties, nous nous exposerons à des gardes à vue scandaleuses, et sans recours aucun.

Vous voulez  un exemple ? Le quotidien Le Dauphiné nous en rapporte un parfait par sa banalité.

A la suite du désormais célèbre lapsus de Rachida Dati, un habitant de Bourg-de-Péage, près de Romans sur Isère, dans la Drôme, lui a adressé un courrier électronique sur sa boîte du Parlement européen, lui demandant “une petite inflation”. Blague de mauvais goût, sans doute, avec des relents de sexisme, certainement. Mais une blague avant tout.

Eh bien ce monsieur s’est retrouvé place en garde à vue par la police judiciaire de Lyon, qui démontre ainsi son sens des priorités, pour le délit d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public. Le procureur de la République de Valence, a évidemment été immédiatement informé – du moins je le suppose.

Et que croyez-vous qu’il arriva ? Que le procureur s’est exclamé : “Mais vous n’y pensez pas ? Un député européen n’étant pas dépositaire de l’autorité publique, faute de pouvoir de décision délégué par la loi, il doit être regardé comme chargé d’une mission de service public ; or l’alinéa 1er de l’article 433-5 du Code pénal ne prévoit qu’une peine d’amende de 7500 euros maximum pour ces faits, en fût-il l’auteur. Pas de prison encourue. Or l’article 67 du Code de procédure pénale prévoit que la garde à vue n’est applicable qu’aux faits punis d’une peine d’emprisonnement. Il serait donc illégal de le retenir en garde à vue, et inopportun de priver de liberté quelqu’un qui n’encourt pas une privation de liberté pour ces faits. En outre, ses déclarations seraient reçues inconstitutionnellement et en violation de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (arrêt Brusco c. France), qui a une valeur supérieure à la loi en vertu de l’article 55 de la Constitution. Or en tant que magistrat, il est de mon devoir de faire respecter le droit. C’est le sens du serment que j’ai prêté. je vous ordonne donc de remettre ce monsieur en liberté ; et si vous avez des questions à lui poser, vous lui envoyez une convocation, en lui rappelant qu’il n’est pas obligé de répondre à vos questions, bien sûr”.

Perdu.

Sa garde à vue a été prolongée et il y a passé près de 48 heures. Illégalement, donc. Son logement a été perquisitionné et son ordinateur a été saisi. Il ne va probablement pas être expertisé, le coût prévisible de la mesure dépassant le montant de l’amende susceptible d’être prononcée. Et sa confiscation n’est même pas prévue à titre de peine complémentaire. Il devra lui être restitué.

A la décharge du parquet, quand on voit que, enfin déféré devant un juge des libertés et de la détention, celui-ci, au lieu d’exploser de colère devant cette procédure ridicule et à la légalité douteuse, a placé ce monsieur sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’entrer en contact avec Rachida Dati – ce que j’ai du mal à considérer comme une contrainte, on voit que même la vraie autorité judiciaire, composée de magistrats indépendants, eux, ne risque pas deperdre le sommeil à cause d’un souci excessif des libertés.

Voilà, mes chers citoyens, la totalité de la protection de votre liberté. Vous voulez rire du lapsus d’une élue ? Il vous en cuira. Deux jours dans les geôles du commissariat, dont personne ne pourra vous sortir, certainement pas le magistrat dont c’est le rôle selon la Constitution, puisqu’il est trop occupé à applaudir pour lire le Code de  procédure pénale. Ca vous apprendra le respect dû à vos supérieurs.

Cette affaire est une honte et un scandale, et oui, je suis en colère. On en est donc là, aujourd’hui ? Un “casse toi pauv’con”, un “Sarkozy je te vois”, un “une petite inflation” sont suffisants pour vous faire traîner devant les tribunaux, par l’autorité constituée qui se prétend, sans rire ni rougir, gardienne de la liberté individuelle ?

Il n’en est pas question. Si ceux qui sont les gardiens de la liberté individuelle trahissent à ce point leur ministère, c’est les gardiens des intérêts individuels, les avocats, qui y suppléeront. Attaquons sans relâche les gardes à vue confiées aux seuls procureurs. Nous serons déboutés. Nous ferons appel. Nous serons confirmés. Nous nous pourvoirons. Nous serons rejetés. Nous irons à Strasbourg, et nous gagnerons.

Relisez les propos de Montesquieu rappelés en exergue. Tout naturellement, un pouvoir qui n’est arrêté par aucun contre-pouvoir est sorti de ses limites et est devenu abusif. Les juges européens ont pointé cette dérive du droit, et nous ont justement rappelé à l’ordre.

Il y a 2000 ans, Juvénal se demandait déjà, dans la République romaine, Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ? L’interrogation est d’une actualité angoissante.

INTERVIEW

Outrage. Le juriste Stéphane Rials explique la multiplication des offenses au Président :

Par ERIC AESCHIMANN

Professeur à l’université Panthéon-Assas, membre senior de l’Institut universitaire de France, Stéphane Rials a publié Oppressions et résistances (PUF, 2008). Pour Libération, il analyse la multiplication des poursuites pour «offenses au chef de l’Etat»,«outrages à fonctionnaires»,voire «bruits et tapages injurieux».

N’est-il pas inquiétant de voir un citoyen poursuivi parce qu’il a crié dans une gare «Sarkozy, je te vois» ?

Notre société pénalise trop l’écrit et la parole. Elle fait feu de tout bois, jusqu’à recourir, dans le cas présent, même s’il y a relaxe, à une technique répressive inusuelle sanctionnant les «bruits et tapages injurieux» (art. R 623-2 du code pénal). Une communauté politique ne peut pas laisser tout dire. Elle peut choisir d’être plus restrictive lorsque le chef de l’Etat est visé. C’est au nom du sacré de la «majesté» qu’est né le délit d’offense envers le président de la République, institué par la loi de 1881 sur… la liberté de la presse, et utilisé par Nicolas Sarkozy dans l’étrange affaire du «Casse-toi…». Le juriste doit concilier des perspectives estimables. Mais dans une société de libertés, la liberté d’expression est éminente ; elle doit être défendue contre les puissances publiques et privées, les conformismes, la dilatation exagérée du sacré. C’est un élément d’équilibre, une garantie, un signe des institutions libérales.

La pénalisation croissante prend aussi la forme du délit d’outrage.

Il n’est pas absurde de défendre fonctionnaires et magistrats contre ce que l’article 433-5 du code pénal appelle «outrage» – l’outrage s’ajoute à deux délits envisagés de façon libérale, l’injure et la diffamation, visés eux aussi par la loi de 1881. Mais, du fait de certains aspects de ce délit, on va trop loin aujourd’hui avec 15 000 condamnations annuelles dont 3 000 assorties de peines de prison !

Comment comprendre la stratégie de Nicolas Sarkozy ?

Son comportement est plus révélateur de choses préoccupantes que réellement inquiétant en lui-même, même s’il n’est pas très… élégant – je pèse mes mots, vous le comprendrez. Comme l’écrivait l’avocat creusois Dareau au XVIIIe siècle, dans son Traité des injures,«il est digne de la majesté du Trône qu’on ne remarque pas» certains propos de peu d’importance… Au fond, avec ce prurit judiciaire, le «Trône» menace moins qu’il ne fait sourire.

Se distingue-t-il de ses prédécesseurs ?

La période gaullienne a été plus dure, avec environ 300 recours au délit d’offense et 130 condamnations. C’est que la définition de l’offense par la Cour de cassation est extensive. Il a fallu la volonté libérale de Pompidou et surtout de Valéry Giscard d’Estaing pour que tout change. Mais Giscard a payé sa largeur de vue – que l’on se rappelle l’injuste affaire des diamants ! D’un autre côté, la comparaison avec Mitterrand n’est pas, à cette heure, en défaveur de l’actuel président. Le recours trop systématique au juge vaut mieux que les Irlandais [de Vincennes, ndlr], le Rainbow Warrior, les écoutes, l’enlèvement, peut-être, pour le ridiculiser, du malheureux Jean-Edern Hallier…

S’agit-il alors pour lui d’illustrer le thème du retour à l’autorité ?

Le discours de la rupture s’accompagne chez le chef de l’Etat de comportements de rupture qui illustrent la crise du «respect» qu’il entend dénoncer. Le style présidentiel fait système avec l’époque : il y a quelque chose de circulaire dans l’irrespect et dans la brutalité de la lutte contre l’irrespect. Ce dont Sarkozy est le nom, il serait sage de s’en aviser, c’est de l’époque dans la plupart de ses aspects. Il réussit parce qu’il nous ressemble. Il a créé en particulier des souffrances, en affichant son mépris pour la littérature, les humanités, les chercheurs, etc. Il a aussi offensé les syndicalistes par son inutile ironie. L’effet de ces banderilles, c’est que l’on croise souvent désormais des gens raisonnables qui «disjonctent», comme on dit, dès que le nom de Sarkozy est prononcé. Il provoque chez beaucoup un pénible désir d’injure qui doit bien s’inscrire dans l’ensemble que domine sa façon de faire et de parler de la politique.

Le sarkozysme est-il un autoritarisme ?

Le sarkozysme accompagne une forme de révolution sociale, politique, culturelle qui rappelle, sous certains aspects, celle marquée par Andrew Jackson lors de son élection comme président des Etats-Unis en 1829. Jackson voulait en finir avec l’aristocratie à l’américaine. Sarkozy veut en finir avec plusieurs traits de l’exception française, notamment les restes d’un certain aristocratisme républicain qui trouve le marché vulgaire et lui préfère le service public et la véritable culture. Il veut abaisser l’élite des grands commis – la suppression du classement de l’ENA est une affaire importante. Il veut abolir le déclinant «pouvoir spirituel» des intellectuels. Il y a une dimension personnelle de cette entreprise. Mais le fond importe plus que la passion. Ce que veut le chef de l’Etat, quoi qu’on nous dise après le supposé «recentrage» de Versailles, c’est une économie globalement libérée du politique, étendue certes à l’écologie marchande, c’est aussi une politique rendue aux politiciens, avec promesse d’un système des «dépouilles» à l’américaine. Dans ce monde, la place des bons serviteurs de l’Etat ou de l’esprit sera étroite… Or ce combat n’est pas impopulaire. Comme Jackson, Sarkozy fait figure d’«ami de l’homme commun».

Un populisme autoritaire, alors ?

Oui, qui témoigne d’un irrespect particulier pour les formes parlementaires. Qui a besoin de taper sec, de faire un peu peur, de brouiller les cartes, de souligner la corruptibilité des hommes, de capter superficiellement les codes et les mots des autres, d’amuser la galerie (des Glaces…). Il fait tout cela. La lutte des classes, même lorsqu’il s’agit surtout de classes «supérieures» ou «moyennes supérieures», n’est jamais une partie de plaisir, et elle s’accompagne toujours d’un rideau de fumée !

Source : Maitre Eolas – http://www.maitre-eolas.fr

« Français ou voyou, il faut choisir. »
Christian Estrosi, le 6 août 2010.

« La France invisible et silencieuse pense que la nationalité française n’est pas une carte de crédit donnant uniquement accès à des services. Il y a aussi des devoirs. »
Thierry Mariani, le 3 août 2010.

« Ces mesures [de déchéance de la la nationalité] sont justes, attendues et efficaces ».
Brice Hortefeux, le 7 août 2010.


Journal Officiel de la République Française, édition du 10 décembre 1940, p. 6043.

Décret du 8 décembre 1940 portant déchéance de la nationalité française.

“Nous, Maréchal de France, chef de l’Etat français,
“Sur le rapport du garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice,
“Vu l’article 1er de la loi du 23 juillet 1940 portant que tout Français qui a quitté le territoire français métropolitain entre le 10 mai et le 30 juin 1940 pour se rendre à l’étranger, sans ordre de mission régulier émanant de l’autorité compétente ou sans motif légitime, sera regardé comme ayant entendu se soustraire aux charges et devoirs qui incombent aux membres de la communauté nationale et, par suite, avoir renoncé à la nationalité française, qu’il sera en conséquence déchu de cette nationalité par décret rendu sur rapport du garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice, et que cette mesure prendra effet à partir du jour fixé par le décret,
“Décrétons :
“Art. 1°. – Est déchu de la nationalité française, à dater du 2 août 1940 ;
M. de Gaulle (Charles André Joseph Marie), né le 22 novembre 1890 à Lille (Nord) ».
Signé Philippe Pétain.

Origine : Gilles Devers http://avocats.fr/space/gilles.devers/content/le-droit-de-vichy—tout-etait-dans-le-journal-officiel–_D8729835-5E84-4751-8EF0-A69798DF00C7 et http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/


Commission Barroso : la colère de Daniel Cohn-Bendit

Les eurodéputés ont accordé leur confiance, mardi 9 février 2010, à la nouvelle Commission européenne, qui va entamer un mandat de cinq ans sous la houlette de José Manuel Barroso. Intervenant pour le groupe Verts/ALE, Daniel Cohn-Bendit a dénoncé une « coalition des hypocrites ».

« Ce que Sarkozy propose, c’est la haine de l’autre »

Démographe et historien, Emmanuel Todd, 58 ans, est ingénieur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED).

Inspirateur du thème de la fracture sociale, repris par Jacques Chirac lors de sa campagne présidentielle de 1995, il observe depuis longtemps la coupure entre élites et classes populaires. Il livre pour la première fois son analyse du débat sur l’identité nationale. Sans dissimuler sa colère. « Si vous êtes au pouvoir et que vous n’arrivez à rien sur le plan économique, la recherche de boucs émissaires à tout prix devient comme une seconde nature », estime-t-il.

 Ce que Sarkozy propose, cest la haine de lautre

Que vous inspire le débat sur l’identité nationale ?

Je m’en suis tenu à l’écart autant que possible, car ce débat est, à mes yeux, vraiment pervers. Le gouvernement, à l’approche d’une échéance électorale, propose, je dirais même impose, une thématique de la nation contre l’islam. Je suis révulsé comme citoyen. En tant qu’historien, j’observe comment cette thématique de l’identité nationale a été activée par en haut, comme un projet assez cynique.

Quelle est votre analyse des enjeux de ce débat ?

Le Front national a commencé à s’incruster dans le monde ouvrier en 1986, à une époque où les élites refusaient de s’intéresser aux problèmes posés par l’intégration des populations immigrées.

On a alors senti une anxiété qui venait du bas de la société, qui a permis au Front national d’exister jusqu’en 2007. Comme je l’ai souligné dans mon livre, Le Destin des immigrés (Seuil), en 1994, la carte du vote FN était statistiquement déterminée par la présence d’immigrés d’origine maghrébine, qui cristallisaient une anxiété spécifique en raison de problèmes anthropologiques réels, liés à des différences de système de moeurs ou de statut de la femme. Depuis, les tensions se sont apaisées. Tous les sondages d’opinion le montrent : les thématiques de l’immigration, de l’islam sont en chute libre et sont passées largement derrière les inquiétudes économiques.

La réalité de la France est qu’elle est en train de réussir son processus d’intégration. Les populations d’origine musulmane de France sont globalement les plus laïcisées et les plus intégrées d’Europe, grâce à un taux élevé de mariages mixtes. Pour moi, le signe de cet apaisement est précisément l’effondrement du Front national.

On estime généralement que c’est la politique conduite par Nicolas Sarkozy qui a fait perdre des voix au Front national…

Les sarkozystes pensent qu’ils ont récupéré l’électorat du Front national parce qu’ils ont mené cette politique de provocation, parce que Nicolas Sarkozy a mis le feu aux banlieues, et que les appels du pied au FN ont été payants. Mais c’est une erreur d’interprétation. La poussée à droite de 2007, à la suite des émeutes de banlieue de 2005, n’était pas une confrontation sur l’immigration, mais davantage un ressentiment anti-jeunes exprimé par une population qui vieillit. N’oublions pas que Sarkozy est l’élu des vieux.

Comment qualifiez-vous cette droite ?

Je n’ose plus dire une droite de gouvernement. Ce n’est plus la droite, ce n’est pas juste la droite… Extrême droite, ultra-droite ? C’est quelque chose d’autre. Je n’ai pas de mot. Je pense de plus en plus que le sarkozysme est une pathologie sociale et relève d’une analyse durkheimienne – en termes d’anomie, de désintégration religieuse, de suicide – autant que d’une analyse marxiste – en termes de classes, avec des concepts de capital-socialisme ou d’émergence oligarchique.

Le chef de l’Etat a assuré qu’il s’efforçait de ne pas être « sourd aux cris du peuple ». Qu’en pensez-vous ?

Pour moi, c’est un pur mensonge. Dans sa tribune au Monde, Sarkozy se gargarise du mot « peuple », il parle du peuple, au peuple. Mais ce qu’il propose aux Français parce qu’il n’arrive pas à résoudre les problèmes économiques du pays, c’est la haine de l’autre.

La société est très perdue mais je ne pense pas que les gens aient de grands doutes sur leur appartenance à la France. Je suis plutôt optimiste : quand on va vraiment au fond des choses et dans la durée, le tempérament égalitaire des Français fait qu’ils n’en ont rien à foutre des questions de couleur et d’origine ethnique ou religieuse !

Pourquoi, dans ces conditions, le gouvernement continue-t-il à reprendre à son compte une thématique de l’extrême droite ?

On est dans le registre de l’habitude. Sarkozy a un comportement et un vocabulaire extrêmement brutaux vis-à-vis des gamins de banlieue ; il les avait utilisés durant la campagne présidentielle tandis qu’il exprimait son hostilité à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne dans un langage codé pour activer le sentiment antimusulman. Il pense que cela pourrait marcher à nouveau.

Je me demande même si la stratégie de confrontation avec les pays musulmans – comme en Afghanistan ou sur l’Iran – n’est pas pour lui un élément du jeu intérieur. Peut-être que les relations entre les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis, c’est déjà pour lui de la politique extérieure ? On peut se poser la question…

Si vous êtes au pouvoir et que vous n’arrivez à rien sur le plan économique, la recherche de boucs émissaires à tout prix devient comme une seconde nature. Comme un réflexe conditionné. Mais quand on est confronté à un pouvoir qui active les tensions entre les catégories de citoyens français, on est quand même forcé de penser à la recherche de boucs émissaires telle qu’elle a été pratiquée avant-guerre.

Quels sont les points de comparaison avec cette période ?

Un ministre a lui-même – c’est le retour du refoulé, c’est l’inconscient – fait référence au nazisme. (Christian Estrosi, le 26 novembre, a déclaré : « Si, à la veille du second conflit mondial, dans un temps où la crise économique envahissait tout, le peuple allemand avait entrepris d’interroger sur ce qui fonde réellement l’identité allemande, héritière des Lumières, patrie de Goethe et du romantisme, alors peut-être, aurions-nous évité l’atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne. ») En manifestant d’ailleurs une ignorance de l’histoire tout à fait extraordinaire. Car la réalité de l’histoire allemande de l’entre-deux-guerres, c’est que ce n’était pas qu’un débat sur l’identité nationale. La différence était que les nazis étaient vraiment antisémites. Ils y croyaient et ils l’ont montré. La France n’est pas du tout dans ce schéma.

Il ne faut pas faire de confusion, mais on est quand même contraint de faire des comparaisons avec les extrêmes droites d’avant-guerre. Il y a toutes sortes de comportements qui sont nouveaux mais qui renvoient au passé. L’Etat se mettant à ce point au service du capital, c’est le fascisme. L’anti-intellectualisme, la haine du système d’enseignement, la chasse au nombre de profs, c’est aussi dans l’histoire du fascisme. De même que la capacité à dire tout et son contraire, cette caractéristique du sarkozysme.

La comparaison avec le fascisme, n’est-ce pas excessif ?

Il ne s’agit pas du tout de dire que c’est la même chose. Il y a de grandes différences. Mais on est en train d’entrer dans un système social et politique nouveau, qui correspond à une dérive vers la droite du système, dont certains traits rappellent la montée au pouvoir de l’extrême droite en Europe.

C’est pourtant Nicolas Sarkozy qui a nommé à des postes-clés plusieurs représentantes des filles d’immigrés…

L’habileté du sarkozysme est de fonctionner sur deux pôles : d’un côté la haine, le ressentiment ; de l’autre la mise en scène d’actes en faveur du culte musulman ou les nominations de Rachida Dati ou de Rama Yade au gouvernement. La réalité, c’est que dans tous les cas la thématique ethnique est utilisée pour faire oublier les thématiques de classe.

Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon et Sylvia Zappi

allais Maurice Allais : Contre les tabous indiscutésUn des derniers journaux libres en France, Marianne, vient de publier (n°659, 5 décembre 2009) un excellent article de Maurice Allais – seul prix Nobel d’Economie français (1988), 98 ans…

Pour mémoire, sorti de Polytechnique ne 1933, il s’est précipité aux États-Unis pour y observer les ravages de la crise de 1929. Il est donc plutôt qualifié pour nous donner son point de vue…

Précision importante : le courage et la qualité du travail des journalistes de Marianne (et le respect du droit d’auteur – mais cet article se doit d’être très largement diffusé au vu de son importance, et du blackout des médias…), chaque semaine, mérite que nous les soutenions en nous abonnant. Si nous n’aidons pas les seuls journalistes qui nous défendent encore, nous ne pourrons nous plaindre si nous nous retrouvions seuls un jour face aux « barbares prétendument libéraux ».

Vous pouvez télécharger ici  l’appel de Maurice Allais : Maurice Allais – Contre les tabous indiscutés.pdf

Le cri d’alarme du seul prix Nobel d’économie français :

CONTRE LES TABOUS INDISCUTÉS

Lettre aux Français par Maurice Allais – Marianne n°659, 5 décembre 2009.

Le point de vue que j’exprime est celui d’un théoricien à la fois libéral et socialiste. Les deux notions sont indissociables dans mon esprit, car leur opposition m’apparaît fausse, artificielle. L’idéal socialiste consiste à s’intéresser à l’équité de la redistribution des richesses, tandis que les libéraux véritables se préoccupent de l’efficacité de la production de cette même richesse. Ils constituent à mes yeux deux aspects complémentaires d’une même doctrine. Et c’est précisément à ce titre de libéral que je m’autorise à critiquer les positions répétées des grandes instances internationales en faveur d’un libre-échangisme appliqué aveuglément.

Le fondement de la crise : l’organisation du commerce mondial

La récente réunion du G20 a de nouveau proclamé sa dénonciation du « protectionnisme » , dénonciation absurde à chaque fois qu’elle se voit exprimée sans nuance, comme cela vient d’être le cas. Nous sommes confrontés à ce que j’ai par le passé nommé « des tabous indiscutés dont les effets pervers se sont multipliés et renforcés au cours des années » (1). Car tout libéraliser, on vient de le vérifier, amène les pires désordres. Inversement, parmi les multiples vérités qui ne sont pas abordées se trouve le fondement réel de l’actuelle crise : l’organisation du commerce mondial, qu’il faut réformer profondément, et prioritairement à l’autre grande réforme également indispensable que sera celle du système bancaire.

Les grands dirigeants de la planète montrent une nouvelle fois leur ignorance de l’économie qui les conduit à confondre deux sortes de protectionnismes : il en existe certains de néfastes, tandis que d’autres sont entièrement justifiés. Dans la première catégorie se trouve le protectionnisme entre pays à salaires comparables, qui n’est pas souhaitable en général. Par contre, le protectionnisme entre pays de niveaux de vie très différents est non seulement justifié, mais absolument nécessaire. C’est en particulier le cas à propos de la Chine, avec laquelle il est fou d’avoir supprimé les protections douanières aux frontières. Mais c’est aussi vrai avec des pays plus proches, y compris au sein même de l’Europe. Il suffit au lecteur de s’interroger sur la manière éventuelle de lutter contre des coûts de fabrication cinq ou dix fois moindres – si ce n’est des écarts plus importants encore – pour constater que la concurrence n’est pas viable dans la grande majorité des cas. Particulièrement face à des concurrents indiens ou surtout chinois qui, outre leur très faible prix de main-d’œuvre, sont extrêmement compétents et entreprenants.

Il faut délocaliser Pascal Lamy !

Mon analyse étant que le chômage actuel est dû à cette libéralisation totale du commerce, la voie prise par le G20 m’apparaît par conséquent nuisible. Elle va se révéler un facteur d’aggravation de la situation sociale. À ce titre, elle constitue une sottise majeure, à partir d’un contresens incroyable. Tout comme le fait d’attribuer la crise de 1929 à des causes protectionnistes constitue un contresens historique. Sa véritable origine se trouvait déjà dans le développement inconsidéré du crédit durant les années qui l’ont précédée. Au contraire, les mesures protectionnistes qui ont été prises, mais après l’arrivée de la crise, ont certainement pu contribuer à mieux la contrôler. Comme je l’ai précédemment indiqué, nous faisons face à une ignorance criminelle. Que le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, ait déclaré : « Aujourd’hui, les leaders du G20 ont clairement indiqué ce qu’ils attendent du cycle de Doha : une conclusion en 2010 » et qu’il ait demandé une accélération de ce processus de libéralisation m’apparaît une méprise monumentale, je la qualifierais même de monstrueuse. Les échanges, contrairement à ce que pense Pascal Lamy, ne doivent pas être considérés comme un objectif en soi, ils ne sont qu’un moyen. Cet homme, qui était en poste à Bruxelles auparavant, commissaire européen au Commerce, ne comprend rien, rien, hélas ! Face à de tels entêtements suicidaires, ma proposition est la suivante : il faut de toute urgence délocaliser Pascal Lamy, un des facteurs majeurs de chômage !

Plus concrètement, les règles à dégager sont d’une simplicité folle : du chômage résulte des délocalisations, elles-mêmes dues aux trop grandes différences de salaires… À partir de ce constat, ce qu’il faut entreprendre en devient tellement évident ! Il est indispensable de rétablir une légitime protection. Depuis plus de dix ans, j’ai proposé de recréer des ensembles régionaux plus homogènes, unissant plusieurs pays lorsque ceux-ci présentent de mêmes conditions de revenus, et de mêmes conditions sociales. Chacune de ces « organisations régionales » serait autorisée à se protéger de manière raisonnable contre les écarts de coûts de production assurant des avantages indus a certains pays concurrents, tout en maintenant simultanément en interne, au sein de sa zone, les conditions d’une saine et réelle concurrence entre ses membres associés.

Un protectionnisme raisonné et raisonnable

Ma position et le système que je préconise ne constitueraient pas une atteinte aux pays en développement. Actuellement, les grandes entreprises les utilisent pour leurs bas coûts, mais elles partiraient si les salaires y augmentaient trop. Ces pays ont intérêt à adopter mon principe et à s’unir à leurs voisins dotés de niveaux de vie semblables, pour développer à leur tour ensemble un marché interne suffisamment vaste pour soutenir leur production, mais suffisamment équilibré aussi pour que la concurrence interne ne repose pas uniquement sur le maintien de salaires bas. Cela pourrait concerner par exemple plusieurs pays de l’est de l’Union européenne, qui ont été intégrés sans réflexion ni délais préalables suffisants, mais aussi ceux d’Afrique ou d’Amérique latine.

L’absence d’une telle protection apportera la destruction de toute l’activité de chaque pays ayant des revenus plus élevés, c’est-à-dire de toutes les industries de l’Europe de l’Ouest et celles des pays développés. Car il est évident qu’avec le point de vue doctrinaire du G20, toute l’industrie française finira par partir à l’extérieur. Il m’apparaît scandaleux que des entreprises ferment des sites rentables en France ou licencient, tandis qu’elles en ouvrent dans les zones à moindres coûts, comme cela a été le cas dans le secteur des pneumatiques pour automobiles, avec les annonces faites depuis le printemps par Continental et par Michelin. Si aucune limite n’est posée, ce qui va arriver peut d’ores et déjà être annoncé aux Français : une augmentation de la destruction d’emplois, une croissance dramatique du chômage non seulement dans l’industrie, mais tout autant dans l’agriculture et les services.

De ce point de vue, il est vrai que je ne fais pas partie des économistes qui emploient le mot « bulle ». Qu’il y ait des mouvements qui se généralisent, j’en suis d’accord, mais ce terme de « bulle » me semble inapproprié pour décrire le chômage qui résulte des délocalisations. En effet, sa progression revêt un caractère permanent et régulier, depuis maintenant plus de trente ans. L’essentiel du chômage que nous subissons —tout au moins du chômage tel qu’il s’est présenté jusqu’en 2008 — résulte précisément de cette libération inconsidérée du commerce à l’échelle mondiale sans se préoccuper des niveaux de vie. Ce qui se produit est donc autre chose qu’une bulle, mais un phénomène de fond, tout comme l’est la libéralisation des échanges, et la position de Pascal Lamy constitue bien une position sur le fond.

Crise et mondialisation sont liées

Les grands dirigeants mondiaux préfèrent, quant à eux, tout ramener à la monnaie, or elle ne représente qu’une partie des causes du problème. Crise et mondialisation : les deux sont liées. Régler seulement le problème monétaire ne suffirait pas, ne réglerait pas le point essentiel qu’est la libéralisation nocive des échanges internationaux, Le gouvernement attribue les conséquences sociales des délocalisations à des causes monétaires, c’est une erreur folle.

Pour ma part, j’ai combattu les délocalisations dans mes dernières publications (2). On connaît donc un peu mon message. Alors que les fondateurs du marché commun européen à six avaient prévu des délais de plusieurs années avant de libéraliser les échanges avec les nouveaux membres accueillis en 1986, nous avons ensuite, ouvert l’Europe sans aucune précaution et sans laisser de protection extérieure face à la concurrence de pays dotés de coûts salariaux si faibles que s’en défendre devenait illusoire. Certains de nos dirigeants, après cela, viennent s’étonner des conséquences !

Si le lecteur voulait bien reprendre mes analyses du chômage, telles que je les ai publiées dans les deux dernières décennies, il constaterait que les événements que nous vivons y ont été non seulement annoncés mais décrits en détail. Pourtant, ils n’ont bénéficié que d’un écho de plus en plus limité dans la grande presse. Ce silence conduit à s’interroger.

Un prix Nobel… téléspectateur

Les commentateurs économiques que je vois s’exprimer régulièrement à la télévision pour analyser les causes de l’actuelle crise sont fréquemment les mêmes qui y venaient auparavant pour analyser la bonne conjoncture avec une parfaite sérénité. Ils n’avaient pas annoncé l’arrivée de la crise, et ils ne proposent pour la plupart d’entre eux rien de sérieux pour en sortir. Mais on les invite encore. Pour ma part, je n’étais pas convié sur les plateaux de télévision quand j’annonçais, et j’écrivais, il y a plus de dix ans, qu’une crise majeure accompagnée d’un chômage incontrôlé allait bientôt se produire, je fais partie de ceux qui n’ont pas été admis à expliquer aux Français ce que sont les origines réelles de la crise alors qu’ils ont été dépossédés de tout pouvoir réel sur leur propre monnaie, au profit des banquiers. Par le passé, j’ai fait transmettre à certaines émissions économiques auxquelles j’assistais en téléspectateur le message que j’étais disposé à venir parler de ce que sont progressivement devenues les banques actuelles, le rôle véritablement dangereux des traders, et pourquoi certaines vérités ne sont pas dites à leur sujet. Aucune réponse, même négative, n’est venue d’aucune chaîne de télévision et ce durant des années.

Cette attitude répétée soulève un problème concernant les grands médias en France : certains experts y sont autorisés et d’autres, interdits. Bien que je sois un expert internationalement reconnu sur les crises économiques, notamment celles de 1929 ou de 1987, ma situation présente peut donc se résumer de la manière suivante : je suis un téléspectateur. Un prix Nobel… téléspectateur, Je me retrouve face à ce qu’affirment les spécialistes régulièrement invités, quant à eux, sur les plateaux de télévision, tels que certains universitaires ou des analystes financiers qui garantissent bien comprendre ce qui se passe et savoir ce qu’il faut faire. Alors qu’en réalité ils ne comprennent rien. Leur situation rejoint celle que j’avais constatée lorsque je m’étais rendu en 1933 aux États-Unis, avec l’objectif d’étudier la crise qui y sévissait, son chômage et ses sans-abri : il y régnait une incompréhension intellectuelle totale. Aujourd’hui également, ces experts se trompent dans leurs explications. Certains se trompent doublement en ignorant leur ignorance, mais d’autres, qui la connaissent et pourtant la dissimulent, trompent ainsi les Français.

Cette ignorance et surtout la volonté de la cacher grâce à certains médias dénotent un pourrissement du débat et de l’intelligence, par le fait d’intérêts particuliers souvent liés à l’argent. Des intérêts qui souhaitent que l’ordre économique actuel, qui fonctionne à leur avantage, perdure tel qu’il est. Parmi eux se trouvent en particulier les multinationales qui sont les principales bénéficiaires, avec les milieux boursiers et bancaires, d’un mécanisme économique qui les enrichit, tandis qu’il appauvrit la majorité de la population française mais aussi mondiale.

Question clé : quelle est la liberté véritable des grands médias ? Je parle de leur liberté par rapport au monde de la finance tout autant qu’aux sphères de la politique.

Deuxième question : qui détient de la sorte le pouvoir de décider qu’un expert est ou non autorisé à exprimer un libre commentaire dans la presse ?

Dernière question : pourquoi les causes de la crise telles qu’elles sont présentées aux Français par ces personnalités invitées sont-elles souvent le signe d’une profonde incompréhension de la réalité économique ? S’agit-il seulement de leur part d’ignorance ? C’est possible pour un certain nombre d’entre eux, mais pas pour tous. Ceux qui détiennent ce pouvoir de décision nous laissent le choix entre écouter des ignorants ou des trompeurs.

Maurice Allais.

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(1) L’Europe en crise. Que faire ?, éditions Clément Juglar. Paris, 2005.

(2) Notamment La crise mondiale aujourd’hui, éditions Clément Juglar, 1999, et la Mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance : l’évidence empirique, éditions Clément Juglar, 1999.

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Le Prix Nobel iconoclaste et bâillonné

La « Lettre aux Français » que le seul et unique prix Nobel d’économie français a rédigée pour Marianne aura-t-elle plus d’écho que ses précédentes interventions ? Il annonce que le chômage va continuer à croître en Europe, aux États-Unis et dans le monde développé. Il dénonce la myopie de la plupart des responsables économiques et politiques sur la crise financière et bancaire qui n’est, selon lui, que le symptôme spectaculaire d’une crise économique plus profonde : la déréglementation de la concurrence sur le marché mondial de la main-d’œuvre. Depuis deux décennies, cet économiste libéral n’a cessé d’alerter les décideurs, et la grande crise, il l’avait clairement annoncée il y a plus de dix ans.

Éternel casse-pieds

Mais qui connaît Maurice Allais, à part ceux qui ont tout fait pour le faire taire ? On savait que la pensée unique n’avait jamais été aussi hégémonique qu’en économie, la gauche elle-même ayant fini par céder à la vulgate néolibérale. On savait le sort qu’elle réserve à ceux qui ne pensent pas en troupeau. Mais, avec le cas Allais, on mesure la capacité d’étouffement d’une élite habitée par cette idéologie, au point d’ostraciser un prix Nobel devenu maudit parce qu’il a toujours été plus soucieux des faits que des cases où il faut savoir se blottir.

« La réalité que l’on peut constater a toujours primé pour moi. Mon existence a été dominée par le désir de comprendre ce qui se passe, en économie comme en physique ». Car Maurice Allais est un physicien venu à l’économie à la vue des effets inouïs de la crise de 1929. Dès sa sortie de Polytechnique, en 1933, il part aux États-Unis. « C’était la misère sociale, mais aussi intellectuelle : personne ne comprenait ce qui était arrivé. » Misère à laquelle est sensible le jeune Allais, qui avait réussi à en sortir grâce à une institutrice qui le poussa aux études : fils d’une vendeuse veuve de guerre, il a, toute sa jeunesse, installé chaque soir un lit pliant pour dormir dans un couloir. Ce voyage américain le décide à se consacrer à l’économie, sans jamais abandonner une carrière parallèle de physicien reconnu pour ses travaux sur la gravitation. Il devient le chef de file de la recherche française en économétrie, spécialiste de l’analyse des marchés, de la dynamique monétaire et du risque financier. Il rédige, pendant la guerre, une théorie de l’économie pure qu’il ne publiera que quarante ans plus lard et qui lui vaudra le prix Nobel d’économie en 1988. Mais les journalistes japonais sont plus nombreux que leurs homologues français à la remise du prix : il est déjà considéré comme un vieux libéral ringardisé par la mode néolibérale.

Car, s’il croit à l’efficacité du marché, c’est à condition de le « corriger par une redistribution sociale des revenus illégitimes ». Il a refusé de faire partie du club des libéraux fondé par Friedrich von Hayek et Milton Friedman : ils accordaient, selon lui, trop d’importance au droit de propriété… « Toute ma vie d’économiste, j’ai vérifié la justesse de Lacordaire : entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la règle qui libère », précise Maurice Allais, dont Raymond Aron avait bien résumé la position : « Convaincre des socialistes que le vrai libéral ne désire pas moins qu’eux la justice sociale, et des libéraux que l’efficacité de l’économie de marché ne suffit plus à garantir une répartition acceptable des revenus. » Il ne convaincra ni les uns ni les autres, se disant « libéral et socialiste ».

Éternel casse-pieds inclassable. Il aura démontré la faillite économique soviétique en décryptant le trucage de ses statistiques. Favorable à l’indépendance de l’Algérie, il se mobilise en faveur des harkis au point de risquer l’internement administratif. Privé de la chaire d’économie de Polytechnique car trop dirigiste, « je n’ai jamais été invité à l’ENA, j’ai affronté des haines incroyables ! » Après son Nobel, il continue en dénonçant « la chienlit laisser-fairiste » du néolibéralisme triomphant. Seul moyen d’expression : ses chroniques touffues publiées dans le Figaro, où le protège Alain Peyrefitte. À la mort de ce dernier, en 1999, il est congédié comme un malpropre.

Il vient de publier une tribune alarmiste dénonçant une finance de « casino» : « L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile, jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s’était constatée. Jamais, sans doute, il est devenu plus difficile d’y faire face, jamais, sans doute, une telle instabilité potentielle n’était apparue avec une telle menace d’un effondrement général. » Propos développés l’année suivante dans un petit ouvrage très lisible* qui annonce l’effondrement financier dix ans à l’avance. Ses recommandations en faveur d’un protectionnisme européen, reprises par Chevènement et Le Pen, lui valurent d’être assimilé au diable par les gazettes bien-pensantes. En 2005, lors de la campagne sur le référendum européen, le prix Nobel veut publier une tribune expliquant comment Bruxelles, reniant le marché commun en abandonnant la préférence communautaire, a brisé sa croissance économique et détruit ses emplois, livrant l’Europe au dépeçage industriel : elle est refusée partout, seule l’Humanité accepte de la publier…

Aujourd’hui, à 98 ans, le vieux savant pensait que sa clairvoyance serait au moins reconnue. Non, silence total, à la notable exception du bel hommage que lui a rendu Pierre-Antoine Delhommais dans le Monde. Les autres continuent de tourner en rond, enfermés dans leur « cercle de la raison » •

Éric Conan

* La Crise mondiale aujourd’hui, éditions Clément Juglar, 1999.

Source : Marianne, n°659, décembre 2009.

La contribution de Maitre Eolas au débat sur l’identité nationale :

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