Vous avez sans doute vu que l’Assemblée a adopté en octobre le projet de déchéance de nationalité pour les meurtriers de policiers (meurtriers d’origine étrangère ET disposant d’une autre nationalité, ça va bien faire un cas tous les 20 ans…) :

Article 3 bis (nouveau)

http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0542.asp

L’article 25 du code civil est complété par un 5° ainsi rédigé :

« 5° S’il a été condamné pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 et 222-8 du code pénal. »

Sachant que l’article 25 précise :

Article 25
L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :

1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;

2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;

3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;

4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.

et que le fameux 4° indique :

4° Sur un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, un gardien assermenté d’immeubles ou de groupes d’immeubles ou un agent exerçant pour le compte d’un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d’habitation en application de l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur ;

Bon, donc ça ne concerne pas que les policiers, mais aussi les avocats (Zavez de la chance Maître Eolas !) et même les gardiens d’immeubles…

A ce stade, je ne polémique même plus, mais on a bien compris la règle « Si le voleur tue le policier, il lui en cuit ».

Mais penchons nous sur cette affaire, banale presque, du gendarme qui tue le voleur… Et plus précisément, où à Draguignan le gendarme Monchal tue de 3 balles dans le dos (sur 7 tirées…) Joseph Guerdner, un gitan (voleur multirécidiviste) non armé qui essayait de s’enfuir, les mains et une cheville menottées, après une chute de 4,60 m de haut. Verdict : acquitté !

Abattu dans le dos et menotté. Légitime défense ?

target.jpgGitan tué dans le Var: le gendarme acquitté, la famille en colère

Le gendarme accusé d’avoir mortellement blessé en 2008 un gitan qui tentait de s’enfuir de la gendarmerie de Draguignan a été acquitté vendredi par la cour d’assises du Var. Le verdict a été accueilli avec colère par les proches de la victime.

Après deux heures trente de délibéré, les jurés ont suivi les réquisitions de l’avocat général Philippe Guémas, qui avait estimé jeudi que le gendarme Christophe Monchal ne pouvait « pas être pénalement condamné »« Il ne s’agit pas de délivrer un permis de tuer, mais de constater que Monchal a agi conformément à ce qui lui a été enseigné. Il a agi dans le cadre légal, il n’a pas agi pour commettre une infraction pénale », avait-il déclaré.

Colère à l’énoncé du verdict

A l’énoncé du verdict, au sein même du prétoire, les femmes de la famille de Joseph Guerdner se sont précipitées sur le cordon de police, aux cris de:« Assassins, elle est mal faite la justice ! Les gendarmes, ils ont le droit de tuer, nous aussi on va les tuer ». Dans la salle des pas perdus, des policiers ont été pris à partie. « On a le sentiment d’être vraiment pris pour de la merde », a réagi la soeur de la victime, Mauricette Guerdner. « Je ressens de la colère, ce n’est pas une justice », a-t-elle dit, tandis qu’un homme lançait: « Vous avez gagné, les gars, mais vous n’avez pas gagné la guerre »!

« Permis de tuer »

Dans un coin, la mère, Micheline Guerdner, assise sur un banc, était secouée par des sanglots. « On a fait le procès de Joseph pendant cinq jours et on a condamné Joseph », a déploré Me Régine Ciccolini, avocate de la famille.« Christophe Monchal a été absous par la cour et le jury. On lui a décerné une décoration judiciaire. C’est un permis de tuer qui a été délivré », a renchéri Me Jean-Claude Guidicelli, l’autre avocat des parties civiles.

Appel au respect

« Ce verdict s’impose à nous et à tous les citoyens de la République », a commenté de son côté le général de division Marc Mondoulet, commandant de la gendarmerie dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, tout en appelant au respect pour la famille. Selon lui, « le verdict va être pris avec beaucoup d’attention et de gravité par la communauté de la gendarmerie parce que c’est le procès d’un événement où il y a eu mort d’homme ».

Cadre légal

« Les jurés ont confirmé que l’adjudant Monchal a fait usage de son arme dans les conditions fixées par la loi », a souligné Marc Mondoulet qui a refusé d’entrer dans le débat sur la réforme des textes, soulevé jeudi par l’avocat général. « Si on ne veut plus que les gendarmes fassent usage de leur arme, il faut avoir le courage politique de modifier le cadre légal », avait affirmé M. Guémas.

Le militaire « désolé »

Le militaire, qui s’est dit « désolé » vendredi avant que le jury se retire pour délibérer, était accusé de « coups mortels » pour avoir tiré en mai 2008 sur Joseph Guerdner, 27 ans, qui tentait de s’évader de la gendarmerie de Draguignan. Ce dernier était soupçonné dans une affaire d’enlèvement, ce qui avait conduit à son placement en garde à vue. Lors de son audition, le gendarme l’avait autorisé à fumer dans le couloir mais le jeune homme, menotté, avait sauté d’une fenêtre d’une hauteur de 4,6 m. Monchal, affirmant avoir voulu viser les jambes, avait tiré à sept reprises, l’atteignant trois fois.

Incidents en 2008

L’annonce de la mort de la victime avait suscité une vive émotion dans la communauté des gens du voyage qui avait manifesté à Brignoles et à Draguignan où de violents incidents avaient éclaté. Le placement en détention provisoire du gendarme avait suscité aussi un vif mécontentement parmi les militaires, contraignant le directeur national de la gendarmerie à un déplacement dans le Var pour calmer ses troupes.

http://probe.20minutes-blogs.fr/archive/2010/09/18/du-caractere-necessairement-imprecis-d-un-tir-dans-l-obscuri.html

Je sais bien qu’il est dur d’être gendarme, mais enfin, certaines choses font froid dans le dos…

Les gendarmes, en tant que miltiaires, ont  plus de latitude que les policiers en l’espèce :

Article L2338-3 du Code de la Défense

Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :

1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;

2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;

3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de  » Halte gendarmerie  » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;

4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.

Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que herses, hérissons, câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations.
Quand le législateur aura deux minutes, entre une déchéance de nationalité et une burka, il pourrait aligner le statut sur celui des policiers, et préciser qu’on ne tire qu’en cas de légitime défense…

Audience de comparution immédiate à Paris. Les prévenus défilent dans le box, arrivant tous en suivant le même rituel : ils sont menottés et tenus par ce qu’on appelle “la laisse” : des menottes attachées à une chaîne d’environ 50 cm, terminée par un mousqueton qui permet de la fixer à un anneau sur la ceinture des gendarmes de l’escorte. Ainsi, si le prévenu tente de s’évader, il devra emporter avec lui un gendarme mobile qui de son côté fera tout pour se montrer indigne de son épithète.

Aussitôt arrivés, les menottes leur sont ôtées, le Code de procédure pénale prévoyant qu’on doit être face à son juge sans entrave. Mon côté chipoteur me fait dire que ces menottes pourraient utilement leur être ôtées de l’autre côté de la porte pour que les juges ne les voient jamais menottés, mais il est vrai que leur présence dans le box, un gendarme les suivant comme leur ombre, avec la tête de malfrat qu’a toute personne sortant de deux ou trois jours de privation de liberté est largement suffisant pour que les menottes ne puissent pas plus encore porter atteinte à leur présomption d’innocence.

Entre alors un Africain, grand et maigre, le visage long, les cheveux hérissés en petites pointes. Il a quelque chose de différent par rapport aux autres prévenus, un regard à la fois absent et paisible, une profonde résignation, mais aucun désespoir. Il remercie très poliment le gendarme quand il lui ôte les menottes, et quand il lui indique le bout de banc en bois où il est prié de s’asseoir. Il attend ensuite son tour avec l’immobilité d’une statue.

Son dossier est finalement appelé. Un interprète s’approche, le prévenu ne s’exprime qu’en langue Peulh. Le tribunal  constate son identité. C’est un Mauritanien, sans papier, qui après avoir été débouté de l’asile et contrôlé dans la rue, fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière. Il a été placé en rétention il y a un mois, sa rétention touche à sa fin, et il est poursuivi en comparution immédiate pour entrave à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, délit dont j’ai déjà dit tout le bien que je pensais.

L’examen des faits (on dit l’instruction à l’audience) est rapide. Au cours de sa rétention administrative, il a refusé à trois reprises d’être conduit au consulat du Sénégal et de Mauritanie pour la délivrance d’un laisser-passer, document délivré par le consulat du pays étranger admettant l’entrée d’un de ses ressortissants, indispensable pour reconduire un étranger démuni de passeport. Interrogé par le tribunal sur son refus, il explique que n’étant pas sénégalais, il n’avait pas de raison de se rendre au premier consulat, et qu’il ne voulait pas retourner en Mauritanie, mais rester en France. Le procureur griffonne aussitôt sur ses notes : il tient un argument en or pour solliciter le mandat de dépôt.

Le président demande si le procureur a des questions à poser ; il répond non de la tête. Puis il demande à la défense, et semble surpris quand la défense répond qu’elle souhaite poser une question.

– “Le prévenu peut-il expliquer pourquoi il a fui la Mauritanie ?”

L’interprète traduit la question, et le prévenu se met à parler. L’interprète, imperturbable, traduit aussitôt.

-“De par mon nom de famille, je suis d’une lignée d’esclaves d’une autre famille, pour laquelle je suis tenu de travailler. Avant moi, mon grand-père fut leur esclave, puis mon père, et à sa mort, ce fut mon tour. Ils me battaient souvent, parfois sans raison. Cette cicatrice là (il montre sa main, balafrée de part en part), c’est mon maître qui me l’a fait. Alors j’en ai eu assez et je me suis enfui, d’abord au Sénégal, où j’ai eu l’asile, mais là bas, il n’y a pas de travail, c’était la misère pour moi. Alors je suis venu en France.”

Après un silence, le président demande, d’une voix plus douce :

– Vous aviez quel âge quand votre père est mort et que vous avez dû prendre sa place ?

– Huit ans.

Le regard paisible du prévenu n’a pas quitté les yeux du président. Il n’a même pas l’air de réaliser la gravité de ce dont il parle.

Il fait un peu plus frais dans le prétoire, soudainement.

– Pas d’autre question, dit l’avocat, qui savait manifestement fort bien ce que son client allait répondre.

Le procureur se lève pour ses réquisitions. A croire qu’il n’a pas entendu ce qui s’est dit, il estime le délit constitué, et eu égard au risque de fuite du prévenu, qui a déclaré vouloir rester en France, il demande trois mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

L’avocat de la défense se lève à son tour et, alors qu’on aurait pu s’attendre à de grandes formules indignées, se lance dans une plaidoirie de pur droit.

Les poursuites reposent sur un arrêté de reconduite à la frontière, puisqu’on lui fait reproche de faire obstacle à son exécution. Il en attaque donc la légalité par voie d’exception, comme le lui permet l’article 111-5 du Code pénal. Voilà le tribunal correctionnel devenu tribunal administratif. Il soulève l’incompétence du signataire, qui n’est pas le préfet de police, faute pour l’administration de fournir l’arrêté de délégation de signature régulièrement publié. Elle ne manque jamais de le faire devant le tribunal administratif, puisque tous les avocats soulèvent le problème, mais jamais dans le dossier transmis au parquet. Or la charge de la preuve de la délégation de signature pèse sur elle. Il ajoute qu’en outre, l’arrêté viole l’article 3 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, puisque le prévenu est exposé à des traitements inhumains et dégradant, l’esclavage, en cas de retour dans son pays. En outre, le délit consiste à refuser de communiquer des renseignements ou un document de voyage aux autorités compétentes (article L.624-1, al. 2 du CESEDA). Or le dossier contient la carte de réfugié sénégalais du prévenu, qu’il a fournie aux services de police. Cette carte supporte sa photographie, son nom, sa date et son lieu de naissance. Il a fourni tous les renseignements que pouvait espérer l’administration. Quant à son refus de comparaître devant le consul, il n’est pas prévu par le délit, qui ne parle que de l’autorité administrative compétente, c’est à dire un préfet, et pas un consul étranger. Il explique au tribunal que le préfet ne fait que l’instrumentaliser, puisque cette poursuite arrive la veille de la fin de la rétention administrative, c’est à dire la veille de la remise en liberté du prévenu. Le préfet veut donc obtenir son placement en détention, avant de le placer à nouveau en centre de rétention à sa sortie pour retenter de le reconduire à la frontière. Et je confirme, oui, c’est courant. Il conclut donc à la relaxe.

Le tribunal met en délibéré son jugement jusqu’à après la suspension d’audience et appelle le dossier suivant.

Et c’est avec un sentiment de honte que j’ai regardé un gendarme remettre des chaînes à un esclave qui pour seul crime a eu un jour l’idée vraiment saugrenue de fuir la servitude et de venir chercher la liberté en France.

Epilogue : Le tribunal a relaxé le prévenu. A la question de l’escorte qui voulait savoir s’il fallait le reconduire au centre de rétention, le président a répondu : “C’est le problème du préfet, pas le mien. Le tribunal a ordonné sa remise en liberté, vous le relâchez.”

Avant d’ajouter : “Ne lui remettez pas les menottes”

Par Maitre Eolas

http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/10/29/Pourquoi-je-veux-un-habeas-corpus-en-France

La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés. Elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir : mais c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le diroit ! la vertu même a besoin de limites.

Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.

Montesquieu, L’Esprit des Lois, XI, chap.4.

Voilà pourquoi, chers confrères, le combat continue. Nous avons eu la peau de la garde à vue sans avocat, même si, à leur grand déshonneur, les juges français ont décidé de faire de la nécromancie avec elle le temps que le législateur daigne se pencher sur le respect de nos droits. Mais n’oublions pas l’autre message que nous a envoyé la Cour en mars dernier. Oh, avec encore moins de succès. La défense de demain (allégorie)

Souvenez-vous de l’arrêt Medvedyev. Lui aussi condamne la garde à vue actuelle en France, et là, aucune solution n’est apporté par le projet de loi de madame Alliot-Marie, qui pourtant ne trouve pas de mots assez laudatifs pour se féliciter elle même.

Rappelons que la garde à vue est décidée souverainement par un officier de police judiciaire (OPJ), qui désormais n’a bien souvent d’officier que le nom, puisqu’un simple gardien de la paix peut être OPJ (et je vous rappelle que pour être gardien de la paix, le bac suffit). Le seul contrôle prévu par la loi est un contrôle du parquet. L’OPJ doit informer dans les meilleurs délais le procureur de la République de cette mesure. Concrètement, dans chaque ressort de tribunal de grande instance, un procureur est de permanence 24h/24. Il peut donner l’ordre de mettre fin à la garde à vue à tout moment.

Ca, c’est la théorie. Oh, je ne doute pas que les procureurs qui me lisent ne manqueront pas de me dire qu’il leur arrive régulièrement d’ordonner la levée de  gardes à vue qui ne leur semble pas s’imposer. Ce sont d’excellents procureurs. On les reconnaît d’ailleurs au fait qu’ils lisent mon blog (quand ils n’y écrivent pas). Mais c’est loin d’être une généralité, je vais y revenir.

D’une part, la réalité de ce contrôle, en tout cas à Paris, est largement illusoire. Un OPJ m’a ainsi un jour expliqué benoîtement que l’information d’une nouvelle garde à vue, de nuit, se faisait par fax au parquet, à la section P12. Qui la nuit est déserte. Concrètement, si le fax est bien envoyé immédiatement (avec copie de l’accusé de réception au dossier), il n’est découvert qu’à l’ouverture des bureaux, vers 9 heures le lendemain. Bien sûr, un procureur peut être joint, sur le portable de la  permanence (dont je me suis procuré le numéro). Mais la consigne est de n’appeler qu’en cas de vraie urgence, ce qui s’entend essentiellement par dossier criminel, ou médiatique. Le procureur doit pouvoir dormir. Le respect de la loi attendra les heures de bureau. Et oui, chers confrères, voilà ce qu’on fait à Paris des garanties de  l’article 63.

D’autre part, et cela est valable pour toute la France, se pose un problème de taille, qui naturellement est nié tant par le parquet que par le Gouvernement (ce Gouvernement a pour politique de ne pas résoudre les problèmes mais de les nier). Le parquet est juge et partie. C’est le même magistrat qui est chargé de juger la légalité et l’opportunité de la privation de liberté qui va ensuite soutenir l’accusation à l’audience. Il est juge de la mesure qui vise uniquement à lui fournir les preuves dont il a besoin. On imagine l’objectivité et l’impartialité. Le garde des Sceaux bredouille devant tous les micros qui lui passent sous le nez que la suppression du juge d’instruction s’impose car il est juge et partie, ce qui est faux, pour confier la conduite de toutes les enquêtes au parquet, qui, lui, est bel et bien juge est partie. Avouez que pour ce qui est de se moquer de vous, ça se pose un peu là.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a donc condamné la France (deux fois) pour ce système, qui ne donne au gardé à vue aucun accès à un magistrat indépendant. Chaque fois que je soutiens des conclusions fondées sur Medvedyev, le parquetier d’audience est vexé comme un pou. “Comment la défense ose-t-elle dire que je ne serais pas un magistrat indépendant, je suis outragé, la Constitution le dit alors c’est vrai.” D’abord, la Constitution, on sait la tenir à l’écart quand ça arrange les autorités. Ensuite, ce n’est pas la défense qui le dit, c’est la CEDH. On sait quelle attention on lui prête en France, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter.

124. Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention.

L’arrêt Medvedyev, dans le texte.

Ensuite, le fait que le parquet n’est pas indépendant n’est pas une nouveauté. Il a une organisation hiérarchisée, et un substitut qui n’obéit pas  aux ordres de son procureur s’exposerait à des sanctions disciplinaires. Heureusement, cela ne lui vient même pas à l’esprit. En haut de la pyramide se trouve d’ailleurs le Garde des sceaux, et les plus hauts parquetiers sont nommés en Conseil des ministres, comme les préfets.

Enfin, nul ne peut nier que c’est bien le parquet la partie poursuivante à l’audience. Je ne connais pour ma part aucune matière où les libertés fondamentales d’une partie sont assurées par son adversaire, avec comme seule la garantie le fait que cette dernière déclare la main sur le cœur : “monsieur, je ne vous permets pas de douter de moi”. C’est un peu léger, s’agissant de votre liberté, vous ne trouvez pas ?

Donc, notre prochain combat, qui sera lui aussi gagné à la fin, sera l’habeas corpus, c’est-à-dire la possibilité pour toute personne gardée à vue de soumettre à un juge un recours qui devra être examiné avec toutes les garanties du procès équitable, permettant de contester aussi bien la légalité que l’opportunité de la mesure. Pouvoir simplement demander à un juge : “Mettez fin à ma garde à vue, elle ne s’impose pas”. L’arrêt Medvedyev, rendu en Grande Chambre et définitif, l’impose expressément et on ne peut plus clairement (la Cour a compris qu’il fallait parler lentement, fort et avec des mots courts et simples aux autorités françaises).

Tant qu’il n’y aura pas de telles garanties, nous nous exposerons à des gardes à vue scandaleuses, et sans recours aucun.

Vous voulez  un exemple ? Le quotidien Le Dauphiné nous en rapporte un parfait par sa banalité.

A la suite du désormais célèbre lapsus de Rachida Dati, un habitant de Bourg-de-Péage, près de Romans sur Isère, dans la Drôme, lui a adressé un courrier électronique sur sa boîte du Parlement européen, lui demandant “une petite inflation”. Blague de mauvais goût, sans doute, avec des relents de sexisme, certainement. Mais une blague avant tout.

Eh bien ce monsieur s’est retrouvé place en garde à vue par la police judiciaire de Lyon, qui démontre ainsi son sens des priorités, pour le délit d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public. Le procureur de la République de Valence, a évidemment été immédiatement informé – du moins je le suppose.

Et que croyez-vous qu’il arriva ? Que le procureur s’est exclamé : “Mais vous n’y pensez pas ? Un député européen n’étant pas dépositaire de l’autorité publique, faute de pouvoir de décision délégué par la loi, il doit être regardé comme chargé d’une mission de service public ; or l’alinéa 1er de l’article 433-5 du Code pénal ne prévoit qu’une peine d’amende de 7500 euros maximum pour ces faits, en fût-il l’auteur. Pas de prison encourue. Or l’article 67 du Code de procédure pénale prévoit que la garde à vue n’est applicable qu’aux faits punis d’une peine d’emprisonnement. Il serait donc illégal de le retenir en garde à vue, et inopportun de priver de liberté quelqu’un qui n’encourt pas une privation de liberté pour ces faits. En outre, ses déclarations seraient reçues inconstitutionnellement et en violation de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (arrêt Brusco c. France), qui a une valeur supérieure à la loi en vertu de l’article 55 de la Constitution. Or en tant que magistrat, il est de mon devoir de faire respecter le droit. C’est le sens du serment que j’ai prêté. je vous ordonne donc de remettre ce monsieur en liberté ; et si vous avez des questions à lui poser, vous lui envoyez une convocation, en lui rappelant qu’il n’est pas obligé de répondre à vos questions, bien sûr”.

Perdu.

Sa garde à vue a été prolongée et il y a passé près de 48 heures. Illégalement, donc. Son logement a été perquisitionné et son ordinateur a été saisi. Il ne va probablement pas être expertisé, le coût prévisible de la mesure dépassant le montant de l’amende susceptible d’être prononcée. Et sa confiscation n’est même pas prévue à titre de peine complémentaire. Il devra lui être restitué.

A la décharge du parquet, quand on voit que, enfin déféré devant un juge des libertés et de la détention, celui-ci, au lieu d’exploser de colère devant cette procédure ridicule et à la légalité douteuse, a placé ce monsieur sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’entrer en contact avec Rachida Dati – ce que j’ai du mal à considérer comme une contrainte, on voit que même la vraie autorité judiciaire, composée de magistrats indépendants, eux, ne risque pas deperdre le sommeil à cause d’un souci excessif des libertés.

Voilà, mes chers citoyens, la totalité de la protection de votre liberté. Vous voulez rire du lapsus d’une élue ? Il vous en cuira. Deux jours dans les geôles du commissariat, dont personne ne pourra vous sortir, certainement pas le magistrat dont c’est le rôle selon la Constitution, puisqu’il est trop occupé à applaudir pour lire le Code de  procédure pénale. Ca vous apprendra le respect dû à vos supérieurs.

Cette affaire est une honte et un scandale, et oui, je suis en colère. On en est donc là, aujourd’hui ? Un “casse toi pauv’con”, un “Sarkozy je te vois”, un “une petite inflation” sont suffisants pour vous faire traîner devant les tribunaux, par l’autorité constituée qui se prétend, sans rire ni rougir, gardienne de la liberté individuelle ?

Il n’en est pas question. Si ceux qui sont les gardiens de la liberté individuelle trahissent à ce point leur ministère, c’est les gardiens des intérêts individuels, les avocats, qui y suppléeront. Attaquons sans relâche les gardes à vue confiées aux seuls procureurs. Nous serons déboutés. Nous ferons appel. Nous serons confirmés. Nous nous pourvoirons. Nous serons rejetés. Nous irons à Strasbourg, et nous gagnerons.

Relisez les propos de Montesquieu rappelés en exergue. Tout naturellement, un pouvoir qui n’est arrêté par aucun contre-pouvoir est sorti de ses limites et est devenu abusif. Les juges européens ont pointé cette dérive du droit, et nous ont justement rappelé à l’ordre.

Il y a 2000 ans, Juvénal se demandait déjà, dans la République romaine, Quis custodiet ipsos custodes ? Qui nous gardera de nos gardiens ? L’interrogation est d’une actualité angoissante.