Billet d’humeur de grand intérêt de Jean-Luc Porquet dans l’excellent Canard enchaîné du mercredi 18 février 2009.
Alors que la loi Bachelot s’apprête à transformer les hôpitaux en entreprises, voilà que Jean-Vital de Monléon, pédiatre au CHU de Dijon, rappelle qu’y règne déjà un nouveau système de comptabilité, connu sous le nom de T2A, tarification à l’activité. Lorsqu’un patient quitte le service, l’hôpital doit lui attribuer un code international qui correspond à un diagnostic. « C’est grâce à ce sacro-saint codage que nous obtenons un financement, officiellement en rapport avec notre activité. » ( » Libé », 12/2).
Il y a des pratiques qui rapportent à l’hôpital beaucoup de points et de subsides, IRM, échographie cardiaque, chirurgie, par exemple. Et d’autres, comme la prévention, pas grand chose. Le même pédiatre raconte qu’en Russie ses confrères, victimes du même système, en viennent à falsifier les dossier médicaux des enfants, et à leur attribuer des maladies graves, afin de bénéficier des bons codages et du pognon afférent. « Les régimes changent, mais les habitudes restent. » Les hôpitaux français, à qui on va désormais demander d’être rentables, vont-ils s’y mettre à leur tour ?
Depuis quelque temps déjà, les indices de ce genre s’accumulent, qui mènent à s’interroger : et si la France était en train de devenir un pays soviétique ? Sans les soviets, bien sûr. Mais avec tout le reste…
Trois types d’indices, au moins.
Un, les petits riens quotidiens. Ces réservations de train de plus en plus difficiles à se procurer, ces queues interminables aux guichets. Ces démarches de plus en plus hasardeuses, que ce soit pour un renseignement ou une réparation, avec barrages à franchir avant de débusquer un interlocuteur caché derrière sa « boîte vocale ». Cette absence de responsables, c’est toujours la faute à l’autre ou à l’informatique. Ces salariés tellement mal traités et déconsidérés qu’ils s’en foutent, j’ai un sale boulot je le fais salement. La démobilisation générale.
Deux, le décalage grandissant entre les mots et la réalité. Entre le bla-bla déversé dans les grands médias par les nouveaux apparatchiks et nos vies. La langue de bois soviétique avait la même fonction, enfumer le réel, faire croire à une irrésistible marche en avant vers l’avenir radieux, avec poignée de formules répétées jusqu’à l’hypnose. Hier, n’est-ce pas, » l’action commune des masses laborieuses permettra de faire du passé table rase « . Aujourd’hui, « Il ne faut pas faire de pause dans les réformes », Et d’ailleurs : « Halte à l’immobilisme ! » Enfumage : Sarkozy vantant son « Etat irréprochable, et se proclamant « Président du pouvoir d’achat ». Enfumage : le plan de relance aux mille chantiers : on pense au Gosplan sur la comète, qui fixait des objectifs dont chacun savait qu’ils étaient bidons.
Trois, ce qui se passe au sommet de l’Etat. Cet atterrant culte de la personnalité. Ce numéro 1 qui s’auto-glorifie sur tous les écrans et en toute occasion. Sa cour de lèche-bottes qui en rajoutent. Et aussi cette parano qui gagne : l’appareil policier dont il s’entoure, les armées de flics mobilisés pour ses moindres déplacements. Cette volonté affichée de généraliser le flicage, fichiers, vidéosurveillance, etc. Cet ennemi intérieur chaque jour montré du doigt, grévistes, juges, enseignants-chercheurs, chômeurs, cheminots, fonctionnaires, etc.
Bref, un système d’une incroyable morgue, inefficace, autoritaire, qui s’imagine indéboulonnable.
Jean-Luc Porquet