10 mai 1944: au micro de Radio-Paris, Philippe Henriot, éditorialiste au service de la propagande, donc des Allemands, attaque Pierre Dac en évoquant ses origines juives et en rappelant qu’il s’appelle en réalité André Isaac et qu’il est le fils de Salomon et de Berthe Kahn

 

 

 

 

« … Dac s’attendrissant sur la France, c’est d’une si énorme cocasserie qu’on voit bien qu’il ne l’a pas fait exprès. Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France, à part la scène de l’ABC où il s’employait à abêtir un auditoire qui se pâmait à l’écouter ? La France, qu’est-ce que ça peut bien signifier pour lui ?… »

Le lendemain, oubliant le profond sentiment d’écoeurement qui l’habite, Pierre Dac lui répond au micro…

BAGATELLE SUR UN TOMBEAU

« M. Henriot s’obstine; M. Henriot est buté. M. Henriot ne veut pas parler des Allemands. Je l’en ai pourtant prié de toutes les façons : par la chanson, par le texte, rien à faire. Je ne me suis attiré qu’une réponse pas du tout aimable – ce qui est bien étonnant – et qui, par surcroît, ne satisfait en rien notre curiosité. Pas question des Allemands.

C’est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et national-socialiste, je ne suis pas français. A défaut de croix gammée et de francisque, j’ai corrompu l’esprit de la France avec L’Os à moelle. Je me suis, par la suite, vendu aux Anglais, aux Américains et aux Soviets. Et pendant que j’y étais, et par-dessus le marché, je me suis également vendu aux Chinois. C’est absolument d’accord. Il n’empêche que tout ça ne résout pas la question: la question des Allemands. Nous savons que vous êtes surchargé de travail et que vous ne pouvez pas vous occuper de tout. Mais, tout de même, je suis persuadé que les Français seraient intéressés au plus haut point, si, à vos moments perdus, vous preniez la peine de traiter les problèmes suivants dont nous vous donnons la nomenclature, histoire de faciliter votre tâche et de vous rafraîchir la mémoire :

  1. Le problème de la déportation;
  2. Le problème des prisonniers;
  3. Le traitement des prisonniers et des déportés;
  4. Le statut actuel de l’Alsace-Lorraine et l’incorporation des Alsaciens-Lorrains dans l’armée allemande;
  5. Les réquisitions allemandes et la participation des autorités d’occupation dans l’organisation du marché noir;
  6. Le fonctionnement de la Gestapo en territoire français et en particulier les méthodes d’interrogatoire
  7. Les déclarations du Führer dans Mein Kampf concernant l’anéantissement de la France.

Peut-être me répondrez-vous, monsieur Henriot, que je m’occupe de ce qui ne me regarde pas, et ce disant vous serez logique avec vous-même, puisque dans le laïus que vous m’avez consacré, vous vous écriez notamment : « Mais où nous atteignons les cimes du comique, c’est quand notre Dac prend la défense de la France! La France, qu’est-ce que cela peut bien signifier pour lui ? »

Eh bien ! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire ce que cela signifie, pour moi, la France.

Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d’autres avant eux sont originaires du pays d’Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante petite ville de Niederbronn , près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C’est un beau pays, l’Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que cela signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l’Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celles de Crimée, d’Algérie, de 1870-1871, de 14-18 jusqu’à ce jour, on a dans ma famille, monsieur Henriot, lourdement payé l’impôt de la souffrance, des larmes et du sang.

Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l’Allemagne ?

Un dernier détail: puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : « Mort pour la France, à l’âge de 28 ans ». Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France.

Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription: elle sera ainsi libellée :

PHILIPPE HENRIOT
Mort pour Hitler,
Fusillé par les Français…

Bonne nuit, monsieur Henriot. Et dormez bien -si vous le pouvez.

Philippe Henriot sera abattu par la résistance 45 jours plus tard, le 28 juin 1944.

« Ce que Sarkozy propose, c’est la haine de l’autre »

Démographe et historien, Emmanuel Todd, 58 ans, est ingénieur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED).

Inspirateur du thème de la fracture sociale, repris par Jacques Chirac lors de sa campagne présidentielle de 1995, il observe depuis longtemps la coupure entre élites et classes populaires. Il livre pour la première fois son analyse du débat sur l’identité nationale. Sans dissimuler sa colère. « Si vous êtes au pouvoir et que vous n’arrivez à rien sur le plan économique, la recherche de boucs émissaires à tout prix devient comme une seconde nature », estime-t-il.

 Ce que Sarkozy propose, cest la haine de lautre

Que vous inspire le débat sur l’identité nationale ?

Je m’en suis tenu à l’écart autant que possible, car ce débat est, à mes yeux, vraiment pervers. Le gouvernement, à l’approche d’une échéance électorale, propose, je dirais même impose, une thématique de la nation contre l’islam. Je suis révulsé comme citoyen. En tant qu’historien, j’observe comment cette thématique de l’identité nationale a été activée par en haut, comme un projet assez cynique.

Quelle est votre analyse des enjeux de ce débat ?

Le Front national a commencé à s’incruster dans le monde ouvrier en 1986, à une époque où les élites refusaient de s’intéresser aux problèmes posés par l’intégration des populations immigrées.

On a alors senti une anxiété qui venait du bas de la société, qui a permis au Front national d’exister jusqu’en 2007. Comme je l’ai souligné dans mon livre, Le Destin des immigrés (Seuil), en 1994, la carte du vote FN était statistiquement déterminée par la présence d’immigrés d’origine maghrébine, qui cristallisaient une anxiété spécifique en raison de problèmes anthropologiques réels, liés à des différences de système de moeurs ou de statut de la femme. Depuis, les tensions se sont apaisées. Tous les sondages d’opinion le montrent : les thématiques de l’immigration, de l’islam sont en chute libre et sont passées largement derrière les inquiétudes économiques.

La réalité de la France est qu’elle est en train de réussir son processus d’intégration. Les populations d’origine musulmane de France sont globalement les plus laïcisées et les plus intégrées d’Europe, grâce à un taux élevé de mariages mixtes. Pour moi, le signe de cet apaisement est précisément l’effondrement du Front national.

On estime généralement que c’est la politique conduite par Nicolas Sarkozy qui a fait perdre des voix au Front national…

Les sarkozystes pensent qu’ils ont récupéré l’électorat du Front national parce qu’ils ont mené cette politique de provocation, parce que Nicolas Sarkozy a mis le feu aux banlieues, et que les appels du pied au FN ont été payants. Mais c’est une erreur d’interprétation. La poussée à droite de 2007, à la suite des émeutes de banlieue de 2005, n’était pas une confrontation sur l’immigration, mais davantage un ressentiment anti-jeunes exprimé par une population qui vieillit. N’oublions pas que Sarkozy est l’élu des vieux.

Comment qualifiez-vous cette droite ?

Je n’ose plus dire une droite de gouvernement. Ce n’est plus la droite, ce n’est pas juste la droite… Extrême droite, ultra-droite ? C’est quelque chose d’autre. Je n’ai pas de mot. Je pense de plus en plus que le sarkozysme est une pathologie sociale et relève d’une analyse durkheimienne – en termes d’anomie, de désintégration religieuse, de suicide – autant que d’une analyse marxiste – en termes de classes, avec des concepts de capital-socialisme ou d’émergence oligarchique.

Le chef de l’Etat a assuré qu’il s’efforçait de ne pas être « sourd aux cris du peuple ». Qu’en pensez-vous ?

Pour moi, c’est un pur mensonge. Dans sa tribune au Monde, Sarkozy se gargarise du mot « peuple », il parle du peuple, au peuple. Mais ce qu’il propose aux Français parce qu’il n’arrive pas à résoudre les problèmes économiques du pays, c’est la haine de l’autre.

La société est très perdue mais je ne pense pas que les gens aient de grands doutes sur leur appartenance à la France. Je suis plutôt optimiste : quand on va vraiment au fond des choses et dans la durée, le tempérament égalitaire des Français fait qu’ils n’en ont rien à foutre des questions de couleur et d’origine ethnique ou religieuse !

Pourquoi, dans ces conditions, le gouvernement continue-t-il à reprendre à son compte une thématique de l’extrême droite ?

On est dans le registre de l’habitude. Sarkozy a un comportement et un vocabulaire extrêmement brutaux vis-à-vis des gamins de banlieue ; il les avait utilisés durant la campagne présidentielle tandis qu’il exprimait son hostilité à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne dans un langage codé pour activer le sentiment antimusulman. Il pense que cela pourrait marcher à nouveau.

Je me demande même si la stratégie de confrontation avec les pays musulmans – comme en Afghanistan ou sur l’Iran – n’est pas pour lui un élément du jeu intérieur. Peut-être que les relations entre les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis, c’est déjà pour lui de la politique extérieure ? On peut se poser la question…

Si vous êtes au pouvoir et que vous n’arrivez à rien sur le plan économique, la recherche de boucs émissaires à tout prix devient comme une seconde nature. Comme un réflexe conditionné. Mais quand on est confronté à un pouvoir qui active les tensions entre les catégories de citoyens français, on est quand même forcé de penser à la recherche de boucs émissaires telle qu’elle a été pratiquée avant-guerre.

Quels sont les points de comparaison avec cette période ?

Un ministre a lui-même – c’est le retour du refoulé, c’est l’inconscient – fait référence au nazisme. (Christian Estrosi, le 26 novembre, a déclaré : « Si, à la veille du second conflit mondial, dans un temps où la crise économique envahissait tout, le peuple allemand avait entrepris d’interroger sur ce qui fonde réellement l’identité allemande, héritière des Lumières, patrie de Goethe et du romantisme, alors peut-être, aurions-nous évité l’atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne. ») En manifestant d’ailleurs une ignorance de l’histoire tout à fait extraordinaire. Car la réalité de l’histoire allemande de l’entre-deux-guerres, c’est que ce n’était pas qu’un débat sur l’identité nationale. La différence était que les nazis étaient vraiment antisémites. Ils y croyaient et ils l’ont montré. La France n’est pas du tout dans ce schéma.

Il ne faut pas faire de confusion, mais on est quand même contraint de faire des comparaisons avec les extrêmes droites d’avant-guerre. Il y a toutes sortes de comportements qui sont nouveaux mais qui renvoient au passé. L’Etat se mettant à ce point au service du capital, c’est le fascisme. L’anti-intellectualisme, la haine du système d’enseignement, la chasse au nombre de profs, c’est aussi dans l’histoire du fascisme. De même que la capacité à dire tout et son contraire, cette caractéristique du sarkozysme.

La comparaison avec le fascisme, n’est-ce pas excessif ?

Il ne s’agit pas du tout de dire que c’est la même chose. Il y a de grandes différences. Mais on est en train d’entrer dans un système social et politique nouveau, qui correspond à une dérive vers la droite du système, dont certains traits rappellent la montée au pouvoir de l’extrême droite en Europe.

C’est pourtant Nicolas Sarkozy qui a nommé à des postes-clés plusieurs représentantes des filles d’immigrés…

L’habileté du sarkozysme est de fonctionner sur deux pôles : d’un côté la haine, le ressentiment ; de l’autre la mise en scène d’actes en faveur du culte musulman ou les nominations de Rachida Dati ou de Rama Yade au gouvernement. La réalité, c’est que dans tous les cas la thématique ethnique est utilisée pour faire oublier les thématiques de classe.

Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon et Sylvia Zappi

Une reprise d’un article d’avril 2007 du nouvel obs – mais il est vraiment très intéressant avec le recul !

Que se passe-t-il quand un philosophe antilibéral et libertaire rencontre un ministre de l’Intérieur ouvertement de droite qui rêve au rétablissement de l’autorité ? C’est ce qu’a voulu savoir une équipe de « Philosophie magazine »* en proposant à Nicolas Sarkozy et à Michel Onfray de débattre à quelques semaines du premier tour. Dans le blog qu’il tient régulièrement sur nouvelobs.com, Michel Onfray est revenu sur cette rencontre. Résultat : un portrait saisissant et rare du candidat Sarkozy

Il est 17 heures ce mardi 20 février. Début houleux. Agressivité de sa part. Il tourne dans la cage, regarde, jauge, juge, apprécie la situation. Grand fauve blessé, il a lu mes pages de blog et me toise – bien qu’assis dans un fauteuil près de la cheminée. Il a les jambes croisées, l’une d’entre elles est animée d’un incessant mouvement de nervosité, le pied n’arrête pas de bouger. Il tient un cigare fin et long, étrange module assez féminin. Chemise ouverte, pas de cravate, bijoux en or, bracelet d’adolescent au poignet, cadeau de son fils probablement. Plus il en rajoute dans la nervosité, plus j’exhibe mon calme.

Premier coup de patte, toutes griffes dehors, puis deuxième, troisième, il n’arrête plus, se lâche, agresse, tape, cogne, parle tout seul, débit impossible à contenir ou àcanaliser. Une, deux, dix, vingt phrases autistes. Le directeur de cabinet et le porte-plume regardent et écoutent, impassibles. On les imagine capables d’assister à un interrogatoire musclé arborant le même masque, celui des gens de pouvoir qui observent comment on meurt endirect et ne bronchent pas. Le spectacle des combats de gladiateurs.

Je fais une phrase. Elle est pulvérisée, détruite, cassée, interdite, morcelée : encore du cynisme sans élégance, toujours des phrases dont on sent qu’il les souhaiterait plus dangereuses, plus mortelles sans parvenir à trouver le coup fatal. La haine ne trouve pas d’autre chemin que dans cette série d’aveux de blessure. J’avance une autre phrase. Même traitement, flots de verbes, flux de mots, jets d’acides.

Cette colère ne fut stoppée que par l’incidence d’une sonnerie de téléphone portable qui le fit s’éloigner dans la pièce d’à côté. Tout en se déplaçant, il répondait avec une voix douce, tendre, très affectueuse, avec des mots doux destinés très probablement à l’un de ses enfants. Le fauve déchaîné tout seul devenait un félin de salon ronronnant de manière domestique. En l’absence du ministre, je m’ouvre à mes deux comparses en présence des deux siens et leur dit que je ne suis pas venu pour ce genre de happening hystérique et que j’envisage de quitter la place séance tenante…

J’étais venu en adversaire politique, certes, la chose me paraissait entendue, et d’ailleurs plutôt publique, mais ceci n’excluait pas un débat sur le fond que je souhaitais et que j’avais préparé en apportant quatre livres enveloppés dans du papier-cadeau ! Quiconque a lu Marcel Mauss sait qu’un don contraint à un contre-don et j’attendais quelque chose d’inédit dans ce potlatch de primitifs postmodernes…

Vaguement liquéfié, et sibyllin, le tandem de l’équipe de « Philosophie magazine », voyant leur scoop s’évaporer dans les vapeurs du bureau, propose, dès le retour du ministre, que nous passions à autre chose et que j’offre mes cadeaux… Je refuse en disant que les conditions ne sont pas réunies pour ce genre de geste et que, dans tous les sens du terme, il ne s’agit plus de se faire de cadeau.

«Passons alors à des questions? A un débat? Essayons d’échanger?», tentent Alexandre Lacroix et Nicolas Truong. Essais, ébauches. En tiers bien à la peine, ils reprennent leurs feuilles et lancent deux ou trois sujets. La vitesse de la violence du ministre est moindre, certes, mais le registre demeure : colère froide en lieu et place de la colère incandescente, mais colère tout de même.

Sur de Gaulle et le gaullisme récent, sur la Nation et la République en vedettes américaines – disons-le comme ça… – de son discours d’investiture, sur la confiscation des grands noms de gauche, sur l’atlantisme ancien du candidat et son incompatibilité avec la doctrine gaullienne, le débat ne prend pas plus. Il m’interpelle : «Quelle est ma légitimité pour poser de pareilles questions? Quels sont mes brevets de gaullisme à moi qui parle de la sorte? Quelle arrogance me permet de croire que Guy Môquet appartient plus à la gauche qu’à la France?» Donc à lui…

Pas d’échanges, mais une machine performante à récuser les questions pour éviter la franche confrontation. Cet homme prend toute opposition de doctrine pour une récusation de sa personne. Je pressens que, de fait, la clé du personnage pourrait bien être dans l’affirmation d’autant plus massive de sa subjectivité qu’elle est fragile, incertaine, à conquérir encore. La force affichée masque mal la faiblesse viscérale et vécue. Aux sommets de la République, autrement dit dans la cage des grands fauves politiques, on ne trouve, semble-t-il, qu’impuissants sur eux-mêmes et qui, pour cette même raison, aspirent à la puissance sur les autres. Je me sens soudain Sénèque assis dans le salon de Néron.

Je crois comprendre qu’il pense que le mal existe comme une entité séparée, claire, métaphysique, objectivable, à la manière d’une tumeur, sans aucune relation avec le social, la société, la politique, les conditions historiques. Je le questionne pour vérifier mon intuition : de fait, il pense que nous naissons bons ou mauvais et que, quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, tout est déjà réglé par la nature.

A ce moment, je perçois là la métaphysique de droite, la pensée de droite, l’ontologie de droite : l’existence d’idées pures sans relation avec le monde. Le Mal, le Bien, les Bons, les Méchants, et l’on peut ainsi continuer : les Courageux, les Fainéants, les Travailleurs, les Assistés, un genre de théâtre sur lequel chacun joue son rôle, écrit bien en amont par un Destin qui organise tout. Un Destin ou Dieu si l’on veut. Ainsi le Gendarme, le Policier, le Juge, le Soldat, le Militaire et, en face, le Criminel, le Délinquant, le Contrevenant, l’Ennemi. Logique de guerre qui interdit toute paix possible un jour.

J’avance l’idée inverse : on ne naît pas ce que l’on est, on le devient. Il rechigne et refuse. Et les déterminismes biologiques, psychiques, politiques, économiques, historiques, géographiques ? Rien n’y fait. Il affirme : «J’inclinerais pour ma part à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. Il y a 1200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense.» « Génétiquement» : une position intellectuelle tellement répandue outre-Atlantique !

La génétique, l’inné, contre le social et l’acquis ! Les vieilles lignes de partage entre l’individu responsable de tout, la société de rien qui caractérise la droite, ou la société coupable de tout, l’individu de rien, qui constituent la scie musicale de la gauche… Laissons de côté la théorie. Je passe à l’exemple pour mieux tâcher de montrer que le tout-génétique est une impasse autant que le tout-social. Face à cet aveu de lieu commun intellectuel, je retrouve naturellement les techniques socratiques du lycée pour interpeller, inquiéter et arrêter l’esprit, capter l’attention de mon interlocuteur qui, de fait, semble réellement désireux d’avancer sur ce sujet.

J’argumente : lui, dont chacun sait l’hétérosexualité – elle fut amplement montrée sur papier couché, sinon couchée sur papier montré… -, a-t-il eu le choix un jour entre son mode de sexualité et un autre ? Se souvient-il du moment où il a essayé l’homosexualité, la pédophilie, la zoophilie, la nécrophilie afin de décider ce qui lui convenait le mieux et d’opter, finalement, et en connaissance de cause, pour l’hétérosexualité ? Non bien sûr. Car la forme prise par sa sexualité est affaire non pas de choix ou de génétique, mais de genèse existentielle. Si nous avions le choix, aucun pédophile ne choisirait de l’être…

L’argument le stoppe. Il me semble qu’à partir de ce moment le candidat, le ministre de l’Intérieur, l’animal politique haut de gamme laisse le pas à l’homme, fragile, inquiet, ostensiblement hâbleur devant les intellectuels, écartant d’un geste qui peut être méprisant le propos qui en appelle aux choses de l’esprit, à la philosophie, mais finalement trop fragile pour s’accorder le luxe d’une introspection ou se mettre à la tâche socratique sans craindre de trouver dans cette boîte noire l’effroyable cadavre de sonenfance.

Dans la conversation, il confie qu’il n’a jamais rien entendu d’aussi absurde que la phrase de Socrate : «Connais-toi toi-même». Cet aveu me glace – pour lui. Et pour ce qu’il dit ainsi de lui en affirmant pareille chose. Cet homme tient donc pour vaine, nulle, impossible la connaissance de soi ? Autrement dit, cet aspirant à la conduite des destinées de la nation française croit qu’un savoir sur soi est une entreprise vaine ? Je tremble à l’idée que, de fait, les fragilités psychiques au plus haut sommet de l’Etat puissent gouverner celui qui règne !

Les soixante minutes techniquement consenties s’étaient allongées d’une trentaine d’autres. Les deux rôles en costume qui le flanquaient jouaient le sablier. Je trouvais l’heure venue pour offrir mes cadeaux. Au ministre de l’Intérieur adepte des solutions disciplinaires : « Surveiller et punir » de Michel Foucault ; au catholique qui confesse que, de temps en temps, la messe en famille l’apaise : « l’Antéchrist » de Nietzsche ; pour le meurtre du père, le chef de la horde primitive : « Totem et tabou » de Freud ; pour le libéral qui écrit que l’antilibéralisme c’est «l’autre nom du communisme» (il dit n’avoir pas dit ça, je sors mes notes et précise le livre, la page…) : « Qu’est-ce que la propriété ? » de Proudhon. Comme un enfant un soir de Noël, il déchire avidement. Il ajoute : «J’aime bien les cadeaux.» Puis : «Mais je vais donc être obligé de vous en faire, alors?»… Comme prévu.

Dans l’entrebâillement de la porte de son bureau, la tension est tombée. Qui prend l’initiative de dire que la rencontre se termine mieux qu’elle n’a commencé ? Je ne sais plus. Il commente : «Normal, on est deux bêtes chacun dans son genre, non? Il faut que ça se renifle, des bêtes comme ça…». Je suis sidéré du registre : l’animalité, l’olfaction, l’odorat. Le degré zéro de l’humanité donc. Je le plains plus encore. Je conçois que Socrate le plongerait dans des abîmes dont il ne reviendrait pas… Du moins : dont l’homme politique ne reviendrait pas. Ou, disons-le autrement : dont l’homme politique reviendrait, certes, mais en ayant laissé derrière lui sa défroque politique pour devenir enfin un homme.

Alors que ses cerbères le prennent presque par la manche, il manifeste le désir de continuer cette conversation, pour le plaisir du débat et de l’échange, afin d’aller plus loin. Tout de go, il me propose de l’accompagner, sans journalistes – il fait un mouvement de bras dans la direction des comparses de « Philosophie magazine » comme pour signifier leur congé, dans un geste qui trahit ce qu’il pense probablement de toute la corporation… Je refuse. Une autre fois ? Les deux amis ont leurs deux paires d’yeux qui clignotent comme des loupiotes… Voyons donc pour plus tard… Dernier mot de Nicolas Sarkozy en forme de lapsus, il est en mouvement vers la sortie : «Je suis quand même un drôle de type, non? Je dois convaincre 65 millions de Français, et je vous dis, là, que je voudrais continuer la conversation! Hein? Non? Il n’y a pas autre chose à faire? Quand même…» Soixante-cinq millions, c’est le nombre des Français à convaincre d’amour, pas celui des électeurs à convaincre de voter…

Rendez-vous fut donc pris pour une seconde séance. Elle eut lieu au même endroit le jeudi 1er mars. Nous ne parlons pas de sujets qui fâchent – politique, gaullisme, libéralisme, religion, présidentielles, ministère de l’Intérieur – et commençons de plain-pied avec Sénèque qu’un ami – probablement de qualité… – lui a conseillé de lire au moment de sa traversée du désert après l’aventure du soutien à Edouard Balladur. Sénèque ou l’art de vivre avec, de composer avec les coups du destin, de transformer les échecs (politiques) en succès (existentiels), de rencontrer l’essentiel en face, sans fioritures, sans les emballages mensongers des palais du pouvoir ; Sénèque ou les rendez-vous avec la mort, la douleur, la souffrance, le temps qui passe ; Sénèque et l’amitié ; Sénèque ou l’essentiel après quoi la philosophie morale peut plier bagage pour un long temps ; Sénèque et Néron, aussi. Je suis dans le bureau du ministre de l’Intérieur… Le ministre, le pouvoir, l’ingratitude.

Je sens la douleur de cette période – où, dit-il, il était «redescendu tout en bas» – dans son existence : il n’aime pas les échecs, lui moins qu’un autre. Il affirme faire de la politique pour être aimé. «Comme tout le monde, dit-il, parce que tout le monde a envie d’être aimé.» Etrange d’avoir choisi la politique, un monde en noir et blanc où l’on aime si peu, et où l’on déteste tant, même et surtout avec les protagonistes de son propre camp. En politique, il n’y a que des alliances opportunistes, des amitiés de tactique, des liaisons de stratégie aussi vite conclues que dénoncées.

A l’évidence, quelque chose d’autre se cache derrière ce paravent. Car l’exercice politique haut de gamme, à ces niveaux de dangerosité psychiatrique, a plus à voir avec la quête d’une puissance défaillante qu’avec un besoin d’amour, elle paraît plus en phase avec un manque de soi qu’avec une envie d’exister dans le regard aimant d’autrui. Un freudien verrait probablement dans cette tyrannie de la puissance défaillante – qui architecture une existence tout entière – un écho à la castration, donc la menace d’une ombre du père – du géniteur, père réel, aux modèles politiques, pères symboliques, évidemment.

Belles lumières dans le jardin du ministère. Des immeubles autour, paisibles, calmes, avec vue plongeante sur le carré de pelouse, les arbres et un panier de basket accroché à l’un d’entre eux – un morceau de vie dans un bunker de la nation. Une antenne immense avec des câbles qui arriment l’ensemble au sol : le totem des communications de la police française. La voix des Fouché et de ses comparses d’aujourd’hui partant codée, cryptée, porter la bonne nouvelle policière dans tout le pays.

Beaux produits, bonne cuisine sur la table du petit déjeuner. Service impeccable. OEufs au plat, jus d’orange, café, pain grillé, confitures… Non loin, en face du bureau, une table avec la presse du jour et les quotidiens. Derrière le fauteuil du ministre, une horloge à affichage numérique (la même tuait le temps avant le changement de millénaire sur la façade de Beaubourg pendant des mois…) décompte compulsivement les heures, les minutes, les secondes qui (nous) séparent des élections… Le ministre, le pouvoir, l’angoisse.

Le sablier postmoderne en instrument de Vanité, voilà probablement un indice sur l’âme de l’homme qui court après le temps, que le présent n’intéresse qu’en regard du futur, de l’avenir, de demain. Incapable de jouir de l’instant, il semble toujours le sacrifier pour un temps à venir. Il confie que, depuis toujours, ce qui l’intéresse c’est l’étape suivante : «Quand j’étais jeune militant, au fond de la salle, je voulais être devant. Quand j’étais devant, je voulais être sur la scène. Quand j’étais sur la scène, je voulais être à la tribune. Quand je me suis trouvé à la tribune, j’ai eu envie de plus, de mieux, de la marche d’après. Je suis fait comme ça…» Le ministre, le pouvoir, la solitude.

Je me prends à penser : mais que peut désirer ensuite cet homme s’il est élu président de la République, sinon sa réélection ? Et après une éventuelle réélection ? Dès lors la République, la Nation, l’Etat, le bien public, l’intérêt général, la France, le drapeau, et autres personnages fantoches de la pièce de théâtre qui se joue nationalement, tout cela compte pour bien peu, sinon rien.

Il avoue ne pas aimer attendre, être pressé, il apprécie les passions fortes, les sensations et les émotions denses, il veut mille vies dans une, la sienne. Je comprends cette façon de voir les choses, car je suis dans le même état d’esprit. Mais lui dans l’inquiétude dispersée, moi dans la quiétude concentrée. Lui, intranquille éparpillé dans les fragments, moi tranquille dans le grand tout. Lui nerveux sans cesse, moi serein tout le temps. Lui n’aimant pas l’introspection, la philosophie, Socrate, moi ayant construit ma vie sur cette discipline, et avec elle, comme une ascèse, depuis des années, puis acquis mon équilibre de haute lutte tant mon départ dans la vie fut contemporain de cauchemars qui rendaient très improbable une vie heureuse.

Sentant probablement mon accord avec lui sur la jubilation dans l’exercice de ces vitesses existentielles, il me demande : «Vous êtes comme ça, vous aussi, non?» J’acquiesce. Il ajoute : «Je m’en doutais. J’ai le regret de vous dire qu’on pourrait partir en vacances ensemble!»

Je m’arrête sur cette idée étonnante : partir en vacances avec Nicolas Sarkozy ! Un instant, je me suis vu dans un décor de rêve, un endroit méditerranéen, mer et soleil, ciel insolemment bleu et chaleur estivale, certes, mais avec un entourage cauchemardesque : sur la terrasse matutinale, André Glucksmann reprend de la confiture, Pascal Bruckner lui demande le pot, Doc Gynéco se verse du café, Christine Angot attend son tour pour le pain grillé, Alain Minc demande du Nutella, Johnny Hallyday a la bouche pâteuse, et l’on attend le passage de BHL qui rentre du Darfour et repart à Marrakech… Je sens que cette idée de vacances est un piège, non qu’il me le tende à dessein – du moins je ne le crois pas, je l’imagine sincère à cet instant… – mais parce que cet entretien, si « Philosophie magazine » conserve ce moment-là, ne sera probablement vu et lu que par le prisme de cette invite en forme de boutade.

Je me réveille un peu, n’étant guère du matin. Le rêve des vacances devenu cauchemar m’a sorti du brouillard… Dehors les bruits de la ville, l’activité du monde, la rumeur de Paris. Le petit déjeuner se poursuit dans le calme. Fini la nervosité et l’agressivité des premiers moments de la semaine précédente, fini les gestes qui trahissaient la contrariété, l’agressivité, l’agitation. Dans ce bureau du ministre de l’Intérieur, dans cet emploi du temps de candidat à la présidentielle, de patron d’une formation politique de droite majoritaire, nous parlons de Cohen et de Rabelais, de Céline et Schopenhauer, de Sénèque et Shakespeare… Inattendu.

Et puis ce moment où tout bascule, où je crois comprendre ce qui fait le grand fauve en politique, ce point commun à tous les gens de pouvoir, droite et gauche confondues, pourvu qu’ils soient dans des partis à même de se trouver effectivement aux affaires : le mépris des lois, l’envie d’occuper un poste, le plus important possible, qui rende possible ce mépris au quotidien, et pour longtemps, car il n’y a au pouvoir que gens sans foi ni loi. Ou du moins pour qui il n’existe qu’une foi et qu’une loi : Soi.

Le ministre de l’Intérieur, celui qui veille au respect de l’ordre, de la Loi, celui qui fait respecter la conformité de l’action publique au contrat républicain et aux règles constitutionnelles en disposant du pouvoir de mettre en branle la force publique, celui qui a les moyens d’activer par la voie disciplinaire et policière la répression de tout ce qui (lui) semble un désordre, cet homme-là, donc, dans son bureau place Beauvau, fait l’éloge de la transgression…

Voici ses propos : «Je pense que l’on se construit en transgressant, qu’on crée en transgressant. Moi-même, j’ai créé mon personnage en transgressant certaines règles de la pensée unique. Je crois en la transgression. Mais ce qui me différencie des libertaires (dont j’avais pris soin de lui dire que c’était ma famille), c’est que pour transgresser il faut qu’il y ait des règles! Il faut qu’il y ait de l’autorité, il faut qu’il y ait des lois. L’intérêt de la règle, de la limite, de la norme, c’est justement qu’elles permettent la transgression. Sans règles, pas de transgression. Donc pas de liberté. Car la liberté, c’est de transgresser.» Sidérant : la saillie mérite une note sur sa fiche aux Renseignements généraux…

J’ai souvent entendu d’anciens gauchistes devenus chrétiens (Philippe Sollers, Jacques Henric, Guy Scarpetta et une partie de la bande d’« Art-Press », dont Catherine Millet) défendre Jean-Paul II d’une main et Sade dans l’autre, célébrer les vertus de l’Eglise catholique, apostolique et romaine en même temps que les bordels, les hôtels de passe, les filles du trottoir, les cérémonies sadomasochistes. Ceux-là communient en Georges Bataille, qui fut, ontologiquement, le paradoxal défenseur de l’ordre répressif afin de pouvoir le transgresser, puis de jouir de cette transgression. Sade, Bataille, Sarkozy, mêmes combats ?

Nous allions vers la fin de notre entretien. J’étais le libertaire qui défend la loi, il était le disciplinaire qui célébrait la transgression ! Le ministre de l’Intérieur ne trouvait aux règles qu’une bonne raison d’exister : la possibilité de les ignorer ; le philosophe nietzschéen parlait pour peu d’interdits, mais pour des interdits majeurs, fondateurs de communautés qui, sinon, deviennent impossibles. Et le premier n’excluait pas de partir en vacances avec le second – qui, lui, n’envisageait pas la chose… Le monde à l’envers !

L’horloge continuait à tuer le temps qui le sépare du résultat de la consultation nationale. La lumière devenait moins douce, plus pure, le jour se levait, la matinée s’entamait, il était 9 heures passées. Dans l’embrasure de la porte, il me confie le plaisir qu’il a eu à ces conversations. Sans sourciller, le plus sérieusement du monde, il ajoute : «Vous viendrez me voir quand je serai en face»… Nouvelle sidération !

Dix minutes plus tard, sur le trottoir justement en face de l’Elysée, à quelques pas des grilles du ministère, j’attends pour laisser passer probablement sa voiture blindée qui sort. Couleur sombre, verre fumé. Une voiture grise du ministère de l’Intérieur devant, la même derrière. Le cortège glisse, passe, part. Probablement pour le meeting du soir à Bordeaux. Ou pour ailleurs, avant. Dans son bureau, il y a Proudhon et Nietzsche, Foucault et Freud qu’il ne lira probablement pas. Peut-être déjà dans une poubelle, ou offerts, ou je ne sais quoi d’autre – des cadeaux pour la retraite de Chirac…

J’ai de la compassion – de la «tendresse de pitié», écrirait Albert Cohen – pour un être qui se détourne autant de lui-même, qui déteste son enfance, qui rit du projet de Socrate, qui veut toujours être dans un temps qui n’existe pas et qui, pour ce faire, piétine son présent avec la même ardeur qu’il foule son passé lointain ; j’ai de la compassion pour cet individu qui voudrait tellement être aimé et, maladroit, se fait tant détester ; j’ai de la compassion pour cet homme blessé qui croit pouvoir panser ses plaies avec les fétiches de la puissance ; j’ai de la compassion pour cet homme fragile qui surjoue tellement la force ; j’ai de la compassion pour cet homme qui n’échappera pas à lui-même : qu’il soit un jour président de la République, ou qu’il ne le soit pas. L’air était frais, la lumière rasante, le soleil cru, les ombres humides. Je n’aurais pas échangé une seconde de sa vie pour une seconde de la mienne…

Michel Onfray vient de publier les tomes 3 et 4 de sa « Contre-histoire de la philosophie »intitulés « les Libertins baroques » et « les Ultras des Lumières » (Grasset).

(1) « Philosophie magazine », avril 2007, « Confidences entre ennemis ».

Michel Onfray – Le Nouvel Observateur

 On peut lire l’interview ici

Enfin, un article du même sur Sarkozy, avant le premier tour…

Voilà, me semble-t-il, l’acception moderne, sinon postmoderne, du démagogue : il flatte le citoyen pour qu’il le conduise au pouvoir car une seule chose l’intéresse, y parvenir et, une fois qu’il s’y trouve, s’y maintenir. Vieilles leçons du Prince de Machiavel. Dans une société de médiatisation généralisée, l’électeur disposant du pouvoir de faire ou de défaire un roi, le démagogue s’adresse médiatiquement aux votants afin qu’il lui fasse la courte échelle pour accéder au trône. Le démagogue est animé par une obsession pathologique : jouir de la puissance donnée le pouvoir – il se moque bien de la République, de la Nation, de l’intérêt général, du bien public, du Peuple, de la France, et autres fétiches dont il se remplit la bouche en permanence et qui saturent toutes ses prises de position.

Le risque du suffrage universel qui pose dans l’absolu l’équation un homme égale un vote est qu’on gagne moins à s’adresser à la raison, à l’intelligence, au bon sens du citoyen, qu’à ses fameuses passions tristes si vives à enflammer tant la misère morale et mentale est grande. Peu importe, il faut choisir des inconvénients et, somme toute, le suffrage universel vaut mieux qu’un cens, quel qu’il soit.

Si la mesure de l’intelligence politique est impensable, celle de la démagogie est possible. Tout homme – ou femme bien sûr…- politique qui parle à rebours de ce qu’enseigne son passé d’élu est un démagogue. Tout homme qui dit pour demain l’inverse de ce qu’il a fait pendant une carrière en est un. Plus l’écart est grand entre son action passée et ses paroles présente, plus c’est un maître en démagogie.

Démagogue en chef, par exemple, Jacques Chirac creusant la fameuse « fracture sociale » pendant un quart de siècle d’action politique aux plus hauts sommets et, après s’en être indigné, sollicitant les électeurs pour la combler ; Jacques Chirac polluant pendant le même temps les nappes phréatiques avec ses décisions en matière agricole et, après s’en être offusqué, affirmant la nécessité d’une écologie qu’il incarnerait ; Jacques Chirac violant la République pendant des décennies – des frais de bouche aux emplois fictifs , en passant par les marchés truqués ou les faux électeurs- et s’en disant le garant comme chef de l’Etat. La liste est longue, chacun le sait…

Prétendant au remplacement et au titre, Nicolas Sarkozy est en passe de décrocher la timbale. Car ce maire refusant la construction de logements sociaux dans sa ville de Neuilly ; cet homme de parti plusieurs fois traître à son camp ; cet encarté défendant une politique de droite depuis son plus jeune âge ; cet allié des puissants fort avec les faibles, faible avec les forts ; cet ami des patrons de presse qui demande et obtient le licenciement d’ un directeur de journal qui expose sa vie privée en dehors des clous fixés par le ministre habituellement iconophile ; ce vindicatif fasciné par les nettoyages de banlieues au kärcher ; cet expéditif qui assimile tout jeune des banlieues à de la racaille ; ce courtisan de Georges Bush auprès duquel il tient des propos de féal de l’autre côté de l’Atlantique ; ce ministre qui convoque place Beauvau le directeur d’une maison d’édition pour interdire un livre à paraître sur son épouse volage ; cet homme, donc, n’existe pas, ou plus, car il a changé…

Ce Nicolas Sarkozy est mort. Enterré. Fini. Décédé. Terminé. Disparu. Trépassé. Plus d’un quart de siècle d’une carrière politique s’envole en fumée. Plus de traces. Pas de preuves. C’était hier. Aujourd’hui, plus rien n’existe comme avant. Car il a changé sous le coup d’une souffrance : cet homme, rendez-vous compte, a été trahi, abandonné, quitté par sa femme – dont il est tombé amoureux le jour même où, maire qui officiait, il a décidé qu’elle ne resterait pas longtemps l’épouse de Jacques Martin, le mari du jour. Avec ce banal adultère des familles, Nicolas Sarkozy a appris la douleur, la peine, le petit homme est devenu grand. Désormais, il peut être Chef de l’Etat.

Donc cet homme nouveau n’a plus rien à voir avec le méchant, le partisan, le sectaire, le traître, le disciplinaire, l’autoritaire, le velléitaire, le réactionnaire, le colérique, l’irascible, le nerveux, l’atrabilaire, le susceptible, l’arrogant, l’ambitieux qu’enseignent trente années de pratique politicienne de Neuilly à Beauvau . Et cette métamorphose, promis, juré, craché, n’a rien à voir avec le désir d’obtenir les suffrages d’électeurs qui disposeraient encore d’ un peu de mémoire et dont l’intelligence ou le bon sens auraient survécus au pilonnage médiatique et hagiographique massif depuis des années de matraquage iconique.

Dès lors, l’homme nouveau, le Nicolas rédimé, le Sarkozy métamorphosé, le candidat aux stigmates présidentiels fait sa déclaration de candidature là même où Chirac avait fait la sienne – qui offrira un jour à cet homme le « que sais-je ? » sur la psychanalyse ? « Le canard enchaîné » prouve dans son édition suivante qu’il n’y avait pas plus de 25.000 personnes, la presse quasi unanime, déjà aux ordres, annonce 100.000 , et ne publiera pas de rectificatif – là comme ailleurs.

Son porte plume Henri Guaino taille le costume nouveau : cet homme qui soutient et met en œuvre depuis trente ans la politique libérale qui génère chômage, misère, pauvreté, délocalisations, paupérisation cite Jaurès et de Blum ; ce maire qui refuse les bâtiments sociaux dans sa ville en appelle maintenant au droit opposable au logement ; le copain des coquins patrons de presse qui débarquent le directeur de « Paris Match » responsable de la publication de l’icône de l’adultère uxoral se fend d’une lettre de soutien à « Charlie Hebdo » embarqué dans un procès moyenâgeux au nom de la liberté de la presse ; le quêteur d’onction américaine qui fait acte d’allégeance à Bush et se désolidarise des positions françaises à la Maison Blanche se réclame désormais du Général de Gaulle et de la Résistance ; ce pourfendeur des syndicats, de la réduction du temps de travail, de l’abaissement de l’âge de la retraite, du droit de grève célèbre la mémoire du communiste Guy Môcquet ; cet homme aux rares neurones intellectuels, qui, pour toute caution culturelle, met en avant Doc Gynéco, Christian Clavier, Johnny Hallyday – courtisan de tous les présidents de la V° depuis qu’il paie des impôts-, cet être qui, hier, ricanait et sortait son revolver dès qu’il entendait le nom de La princesse de Clèves, cite aujourd’hui Voltaire, Victor Hugo , Emile Zola ; ce traître, ce cynique, cet immoraliste, cet apostat multirécidiviste se paie même le culot d’en appeler à la morale, aux valeurs, aux vertus ; cet aspirant nettoyeur de banlieues convoque blacks et beurs sur les podiums de ses meetings ; cet habitué des palais de la République, de l’or des logements de fonction , des lambris de ministères, des voitures avec gyrophares, et escortes policières, débarque devant les caméras en Renault de gamme moyenne pour monter à la tribune et convoquer une fois encore Jaurès et Blum , mais à la Mutualité cette fois ci !

Si l’on veut désormais que les mots puissent encore signifier, alors recadrons les choses et destinons lui celui de démagogue, de candidat de la démagogie, de roi de la démagogie, de chef de la démagogie, de président de la démagogie. Trente années de politique , de la mairie au ministère en passant par les instances départementales et régionales, témoignent de la nature véritable de cet homme de droite qui revêt aujourd’hui des habits de la gauche. C’est un loup déguisé dans les vielles nippes d’une grand-mère. On connaît l’histoire… Je crains que les habits nouveaux séduisent les amateurs d’histoire, de fable, de romans, de films, de fictions. Le soir du deuxième tour, la grand-mère pourrait bien apparaître à la fenêtre de l’Elysée, les habits du travestissement abandonnés à même le sol , démaquillée, avec le visage qu’on lui connaît depuis trois décennies : celui d’un prédateur.

Ce soir là, il sera trop tard pour tous les chaperons – rouges ou non…

Enfin, une vidéo : il parle de Sarko et de Schopenhauer. C’est fin, clair, intelligent et ça élève le débat.

Tiré du Post, de Guy Birenbaum :

Je vous ai déjà parlé de l’interview de Carla Bruni-Sarkozy dans Femme Actuelle… (honte sur moi, je ne l’ai toujours pas lue…)

Eh bien, les nouvelles images que vous allez découvrir sont absolument extraordinaires.

Et je pèse mes mots !

Dans le conte de fée présidentiel qui s’écrit, jour après jour, sous nos yeux ébahis, ces 2 minutes et quatorze secondes resteront à jamais, je le sais déjà. Et elles passeront et repasseront en boucle dans tous les zapping de la terre…

Bah moi aussi ça me fait quelque chose de vous voir comme ça, en vrai, Nicolas et Carla….

J’aime l’arrivée impromptue du Président (hum, hum, hum)…

J’adore cette soudaine intimité dans notre monde de brutes…

Je goûte les petits gestes amoureux et touchants du couple présidentiel…

Et surtout, plus que tout, je répète dans ma tête à l’infini le « bon courage chouchou » final que lance Carla à son loulou Président de mari ! (vous l’entendez bien comme moi, dites ? Je ne me trompe pas ?).

Un « bon courage chouchou » qui restera gravé à jamais – mais où exactement …? – dans le marbre de la peopolitique mondiale

Bonus :

Une réplique déjà kulte (entre l’énorme « Sous le soleil » et une telenovela), un peu après 1 minute :

« J’vais r’cevoir le Premier ministre d’Irak »

« Génial ».

Une affaire édifiante sur la collusion media / politiques, dont la conclusion l’est autant. A lire sur NouvelObs.com :

Hadopi/licenciement à TF1 : Albanel suspend un de ses collaborateurs à l’origine de la fuite.
La ministre de la Culture a cependant refusé la démission de cette personne qui avait bien transmis à TF1 le mail anti-Hadopi d’un cadre de la chaîne licencié par la suite.

Un collaborateur de la ministre de la Culture, qui avait transmis à TF1 un email d’un de ses cadres hostile à la loi Hadopi qui a par la suite été licencié, a été suspendu par Christine Albanel, a-t-on appris dimanche soir 10 mai auprès du ministère. « Dans le cadre des informations demandées par Christine Albanel relatives à l’e-mail de M. Jérôme Bourreau, il est apparu qu’une copie de ce document (…) a bien été transmise à la chaîne TF1 à la fin du mois de février par l’un de ses collaborateurs », a-t-on indiqué au ministère.

« Christine Albanel a déploré cet envoi qu’elle considère comme une erreur regrettable. Elle a refusé la démission que lui a remise ce collaborateur et a décidé de le suspendre de ses fonctions présentes pendant une durée d’un mois », a-t-on précisé, confirmant une information publiée sur Libération.fr.

Jérôme Bourreau, 31 ans, qui était responsable du pôle innovation web de TF1, avait écrit, en février, à sa députée Françoise de Panafieu (UMP) pour dénoncer le projet de loi Hadopi, actuellement discuté à l’Assemblée.

Quelques semaines plus tard, il avait été convoqué par un responsable de la chaîne qui lui avait fait alors comprendre qu’il serait sanctionné en raison de son opposition à ce projet. En avril, il avait reçu sa lettre de licenciement. Lors de son entretien avec son employeur, il avait réalisé que le mail qu’il avait envoyé à Françoise de Panafieu avait été transféré au ministère de la Culture qui l’avait ensuite transmis à la direction de TF1.

Lors de la révélation de cette affaire, jeudi, Christine Albanel avait affirmé « n’avoir jamais contacté la direction de TF1 pour s’immiscer dans la politique de gestion du personnel de la chaîne ». « A ma connaissance rien n’a été transmis » à la direction de TF1, avait-elle ajouté. (nouvelobs.com)

Par Reuters, publié le 02/04/2009

PARIS – Les violences policières restent trop souvent impunies en France, qui ne s’est pas donné les moyens d’enquêter en toute indépendance pour permettre aux victimes d’obtenir réparation, estime Amnesty International.

A Lire sur L’express.fr

Force est de reconnaitre que nous avons une majorité qui fait vraiment de la défense de l’intérêt général contre les intérêts particuliers sa ligne d’action…

L’Assemblée a autorisé, lundi 9 mars, pour la première fois officiellement en France la publicité en faveur de l’alcool sur internet, avec des restrictions.
La loi Evin de 1991, adoptée avant l’apparition de l’internet, était muette sur ce sujet.
La ministre de la Santé Roselyne Bachelot a évoqué une « ouverture contrôlée et encadrée ».
Elle a ainsi donné son feu vert à un amendement UMP qui autorise la publicité pour l’alcool sur internet, avec des restrictions concernant notamment les sites « principalement destinés à la jeunesse ».
La restriction vise aussi des services en ligne « édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles ».
Cet amendement précise aussi que la publicité pour l’alcool ne doit pas être « intrusive » (par des spams ou des pop-ups).
La ministre a préféré cet amendement à un autre qui autorisait la publicité pour l’alcool sur intenet, mais en établissant une liste des sites où elle était permise (sites des producteurs, fabricants, importateurs, distributeurs, détaillants…), plutôt qu’en posant des restrictions.
Cet amendement retoqué, approuvé en commission par des députés de tous bords, avait les faveur du groupe PS.
Source Nouvelobs.com