Tiens, une petite découverte aujourd’hui. Pas la plus gaie, mais je pense que vous connaissez tous les paroles de L’aigle Noir de Barbara. Je me suis toujours demandé (bon, d’accord, sans que cela m’empêche de dormir…) quel en était le sens. Je l’ai découvert aujourd’hui. Mais avant, je vous les remets :

L’aigle noir, Barbara – Musique: Barbara, Catherine Lara
Autres interprètes: Florent Pagny, Thierry Amiel, Patricia Kaas (version que j’aime beaucoup)

Un beau jour, ou peut-être une nuit,
Près d’un lac je m’étais endormie,
Quand soudain, semblant crever le ciel,
Et venant de nulle part,
Surgit un aigle noir,

Lentement, les ailes déployées,
Lentement, je le vis tournoyer,
Près de moi, dans un bruissement d’ailes,
Comme tombé du ciel,
L’oiseau vint se poser,

Il avait les yeux couleur rubis,
Et des plumes couleur de la nuit,
A son front brillant de mille feux,
L’oiseau roi couronné,
Portait un diamant bleu,

De son bec il a touché ma joue,
Dans ma main il a glissé son cou,
========================
C’est alors que je l’ai reconnu,
Surgissant du passé,
Il m’était revenu,

Dis l’oiseau, ô dis, emmène-moi,
Retournons au pays d’autrefois,
Comme avant, dans mes rêves d’enfant,
Pour cueillir en tremblant,
Des étoiles, des étoiles,

Comme avant, dans mes rêves d’enfant,
Comme avant, sur un nuage blanc,
Comme avant, allumer le soleil,
Etre faiseur de pluie,
Et faire des merveilles,

L’aigle noir dans un bruissement d’ailes,
Prit son vol pour regagner le ciel,

[Ce paragraphe n’est généralement pas interprété…]

Quatre plumes couleur de la nuit
Une larme ou peut-être un rubis
J’avais froid, il ne me restait rien
L’oiseau m’avait laissée
Seule avec mon chagrin

Un beau jour, ou peut-être une nuit,
Près d’un lac, je m’étais endormie,
Quand soudain, semblant crever le ciel,
Et venant de nulle part,
Surgit un aigle noir,

Un beau jour, une nuit,
Près d’un lac, endormie,
Quand soudain,
Il venait de nulle part,
Il surgit, l’aigle noir…

Lisez-les bien, et réfléchissez à ce à quoi elles pourraient faire allusion…

En attendant, je ne résiste pas au plaisir de mettre les vidéos :

Barbara – L’Aigle Noir – Concert Au Chatelet (1987)

Patricia Kaas – L’Aigle Noir – Concert Au Cirque Royal de Bruxelles

Et bien alors, la (triste) réponse est que Barbara a été violée par son père (l’aigle très noir…), et ce jusqu’à ses 17 ans... Elle voit alors son père comme un aigle (très) noir et raconte ses mauvais souvenirs du passé ; elle est tellement traumatisé par les abus de son père, qu’elle y repense tous les soirs avant de se coucher.

Plus précisément, cette chanson se divise essentiellement en deux parties.

  1. La première partie va du début à « il a glissé son cou ». Ici, il s’agit du compte rendu d’un rêve. Ce sont les images du rêve et rien de plus. De belles images, un peu inquiétantes. On peut les interpréter, mais il ne faut pas oublier que l’interprétation est l’affaire du rêveur !
  2. La deuxième partie commence à « c’est alors que je l’ai reconnu » et va jusqu’à « Et faire des merveilles ». Ici, il s’agit de l’interprétation diurne et psychanalytique du rêve par le rêveur. L’oiseau c’est le père, le roi. L’interprétation montre qu’il y a un avant et un après. Avant, l’enfant était un enfant innocent avec ses rêves d’enfant (et pas ses rêves d’adultes à interpréter), avec son imagination d’enfant (être faiseur de pluie, faire des merveilles, etc.)

Les deux lignes suivantes : « L’aigle noir dans un bruissement d’ailes, Prit son vol pour regagner le ciel. » et le paragraphe qui n’est pas chanté sont une sorte de conclusion. Il s’agit d’un retour à la description du rêve qui se comprend facilement après la partie interprétation : le père laisse l’enfant seul dans « l’après ».

Cette chanson ne doit pas pour autant être réduite au traumatisme concret dont la biographie de Barbara rend compte. Le passage du monde de l’enfance, où l’on est « faiseur de merveilles », au monde des adultes peut éveiller un sentiment de nostalgie pour tout le monde. Le passage de l’image d’un père ou d’une mère « roi », à la vérité d’un père ou d’une mère simple mortel est une expérience assez universelle. C’est le passage des rêves d’enfant (pour Freud le rêve d’enfant consiste à réaliser les désirs frustrés de la veille) aux rêves d’adulte qui mettent en jeu toute notre histoire. C’est pour cela que cette chanson va au-delà de la question de l’inceste et qu’elle touche la plupart d’entre nous.

Il faut ajouter qu’on peut aussi être touché par la chanson sans la comprendre pour ce qu’elle est. La musique, l’interprétation, les images, les phrases peuvent suffire à nous émouvoir. Chacun a le droit de ne pas comprendre et de se construire sa propre interprétation, mais quand la vérité est révélée, la refuser, c’est vivre dans le déni.

Ajoutons enfin que le dernier élément, le plus touchant et le plus intéressant, c’est de se dire que Barbara a chanté cette chanson d’aveux masqués, jusqu’au bout. Penser à cela en regardant cette vidéo de Barbara au Chatelet en 1987, c’est impressionnant !

Rajoutons enfin que Barbara a écrit d’autres chansons sur son enfance. On pense alors au terrible « Au coeur de la nuit » (Soudain, je me suis réveillée. Il y avait une présence.[…] Il y eut un bruissement d’ailes Là, tout contre ma figure. […] Un bruit sourd venant d’outre-tombe. Qui es-tu pour me revenir ? Quel est donc le mal qui t’enchaîne ?).

Elle a finalement pardonné à son père (qui avait finalement abandonné sa famille et qu’elle n’avait plus jamais revu), comme elle le raconte dans la belle chanson Nantes :

A l’heure de sa dernière heure
Après bien des années d’errance
Il me revenait en plein coeur
Son cri déchirait le silence
Depuis qu’il s’en était allé
Longtemps je l’avais espéré
Ce vagabond, ce disparu
Voilà qu’il m’était revenu […]

J’ai rien dit, mais à leurs regards
J’ai compris qu’il était trop tard

Pourtant j’étais au rendez-vous
Vingt-cinq rue de la Grange-au-Loup
Mais il ne m’a jamais revue
Il avait déjà disparu

Voilà, tu la connais l’histoire
Il était revenu un soir
Et ce fut son dernier voyage
Et ce fut son dernier rivage
Il voulait avant de mourir
Se réchauffer à mon sourire
Mais il mourut à la nuit même
Sans un adieu, sans un « je t’aime »

Au chemin qui longe la mer
Couché dans le jardin des pierres
Je veux que tranquille il repose
Je l’ai couché dessous les roses
Mon père, mon père

En tous cas, il est désormais difficile en sachant ça d’écouter L’aigle noir comme avant, non ?

N’hésitez pas enfin à soutenir le sassociations d’aide aux victimes, comme l’Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI), le Collectif francais des victimes de l’inceste (CFVI) ou SOS Femmes

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