Extraits de Courrier International :

joseph-nye Le “soft power” est-il de retour ?  Barack Obama exerce un immense attrait dans le monde entier. Cela suffira-t-il à restaurer la capacité d’influence et de persuasion des Etats-Unis ? Le point de vue de l’inventeur de l’expression soft power, Joseph Nye.

Qu’est-ce que le soft power ? Et quel rapport avec la détérioration de l’image des Etats-Unis à l’étranger ?
Joseph Nye : Si l’on considère la puissance comme la capacité pour un Etat d’obtenir ce qu’il veut d’autres Etats, il y a trois façons d’y parvenir : par la menace (le “bâton”), par la récompense (la “carotte”) ou encore par la séduction, en amenant les gens à vouloir la même chose que vous. C’est cela le soft power, c’est la capacité à obtenir ce que l’on veut par la séduction, plutôt que par la coercition ou la récompense.

La séduction comme instrument de la puissance.
C’est cela. Les Etats-Unis ont toujours eu beaucoup de soft power, et cela découle de la culture, des valeurs et des politiques américaines, quand elles sont jugées légitimes par les autres pays. Mais ces huit dernières années, notre attractivité a décliné de façon spectaculaire, comme l’ont montré des enquêtes d’opinion un peu partout dans le monde. Je dirais qu’il y a eu une déperdition de notre soft power. […]

La distinction est claire. Pouvez-vous nous citer des exemples d’administrations américaines ayant usé avec succès du soft power ?
Durant la guerre froide, nous avons beaucoup fait pour promouvoir la culture et les valeurs américaines de l’autre côté du Rideau de fer. Le président Eisenhower croyait aux vertus du soft power, même s’il n’utilisait pas le terme, puisqu’il n’avait pas encore été inventé. Mais il disait souvent qu’à choisir entre un nouveau bombardier et une nouvelle émission de radio, il préférait la radio. Et à long terme, cela a marché. […]

Vous avez écrit que, à l’ère de l’information, le soft power gagne en importance relative par rapport au hard power. Pourquoi ?
Par le passé, on pensait la puissance en termes de puissance militaire. Quand le grand historien Paul Kennedy écrit sur l’Europe au XIXe siècle, il définit une grande puissance par sa capacité à gagner une guerre. Mais, au XXIe siècle, il est presque aussi important de gagner la bataille de la communication que la guerre. Ben Laden en est un bon exemple. Il se sert très habilement de la vidéo, de la télévision et d’Internet pour raconter son histoire. D’accord, c’est une histoire atroce. Mais elle a de l’attrait. “Comment un homme caché dans une grotte en Afghanistan peut-il remporter la bataille de la communication contre la première société de communication du monde ?”, s’est demandé un jour le diplomate Richard Holbrooke. C’est entre autres parce que nous ne savons pas raconter notre histoire. […]

Dans un entretien paru précédemment dans Guernica, William Schulz, alors directeur d’Amnesty International Etats-Unis, parlait de ce qu’il appelle l’“escorte de la terreur” [terror retinue]. Il s’agit de gens qui ne commettent pas directement d’actes terroristes contre les Etats-Unis, mais qui expriment leur mécontentement à l’égard de la politique américaine en apportant leur soutien à des terroristes. En affirmant aussi clairement le hard power américain, c’est comme si nous obligions les Irakiens et les Afghans à prendre parti. Quand nous lâchons des bombes à fragmentation qui ratent leur cible, il n’y a rien d’étonnant à ce que certains d’entre eux disent : “Je suis du côté de mes frères musulmans”, ou “de mes voisins” ou encore “de ceux qui nous protègent contre une énième agression étrangère”. Cela ne rejoint-il pas un peu l’article que vous avez publié en 2004 dans Foreign Affairs [“The Decline of America’s Soft Power”] et où vous évoquiez l’importance du soft power dans la guerre contre le terrorisme ?
Ce que Ben Laden cherche à faire, c’est radicaliser la communauté musulmane pour l’amener à croire à un choc de civilisations. Pour y parvenir, il a besoin d’aide, et nous-mêmes l’aidons à faire de nouvelles recrues. Plus nos actes choquent les musulmans ordinaires, plus nous l’aidons à recruter. C’est vrai que nous ne ferons pas changer Ben Laden de position par le soft power. C’est impossible, et il faut user du hard power contre lui. Mais ce n’est pas suffisant pour avoir le dessus : parce qu’il faut faire en sorte, comme l’a dit Rumsfeld, que ses nouvelles recrues ne soient pas plus nombreuses que ceux que nous parvenons à dissuader ou à tuer. Pour moi, cela veut dire qu’il faut parvenir à séduire les musulmans ordinaires pour qu’ils ne deviennent pas des recrues potentielles de Ben Laden. Voilà qui illustre bien le fait que l’on a autant besoin de soft power que de hard power si l’on veut finir par remporter la guerre contre le terrorisme.

Entretien de Joseph Nye avec Joel Whitney – Guancha 

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