Le consommateur désarmé
Coup de gueule décembre 23rd, 2010Extrait du blog de Paul Jorion
Les crises ont cet effet que des choses jusque-là invisibles apparaissent soudain en surface. Il en va ainsi du déséquilibre qui devient désormais très palpable entre les droits du consommateur et ceux du prestataire de service. Ainsi, dans un cas très récent, le fait que l’organisation d’initiative citoyenne Wikileaks, s’est vue refuser les services de Visa, Mastercard et Paypal, sans autre justification que le fait d’avoir « peut-être » agi illégalement en publiant des informations communiquées par des « whistleblowers », des employés dénonçant les pratiques scandaleuses de leur employeur, qu’il s’agisse d’une firme ou d’un gouvernement.
Hier, alors que la presse avait signalé il y a quelques jours que Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, s’apprêtait à divulguer des informations relatives à Bank of America révélant « des manquements à l’éthique » au niveau de sa direction, la banque a décidé de refuser de traiter les dons faits à Wikileaks. Comment imaginer que ce refus de service soit sans rapport avec l’annonce faite dans la presse ?
Or, même si des personnalités politiques américaines appellent à l’assassinat d’Assange et de ses collaborateurs, et si le Vice-Président Joe Biden le qualifie de « terroriste high-tech » et laisse entendre que l’on s’active en ce moment à fabriquer les preuves qui permettront de l’inculper de « complot » (on doit s’étonner que les personnalités politiques d’autres pays s’abstiennent de commenter une telle agitation hystérique), son statut se limite à l’heure actuelle à ce qu’une cour suédoise veuille l’entendre sur des faits qui relèvent de la vie privée et qui impliquent la validité du témoignage d’une personne endormie au moment des faits. L’existence d’un tissu de lois tatillonnes permet semble-t-il aux autorités d’exercer désormais des représailles contre tout individu dont le comportement les irrite.
Une justice privée de mauvais aloi est en train de se mettre en place, fondée sur l’intimidation et qui ne juge pas même nécessaire de se justifier. Les firmes qui refusent leurs services à Wikileaks se contentent de dire que son fondateur a « peut-être » commis des actes illégaux ou, de manière plus nébuleuse encore, qu’une infraction à été commise à l’un de leurs règlements – qu’elles s’abstiennent de préciser. On pense à Kafka : « Vous serez probablement convoqué prochainement pour que nous évoquions ensemble une affaire dont nous vous ferons connaître l’objet en temps utile… »
Or des firmes comme Visa ou Mastercard, Paypal, vu la nature des services qu’elles offrent, se trouvent en position de monopole ou d’oligopole. La loi dans certains pays oblige les sommes importantes, comme les salaires, à transiter par les banques. Que se passerait-il si les banques refusaient de vous ouvrir un compte parce qu’elles n’aiment pas vos opinions ou vos agissements – bien qu’ils soient légaux ? Une compagnie téléphonique pourrait-elle résilier votre abonnement parce qu’elle n’aime pas ce que vous dites publiquement – et qu’elle soupçonne que vous pourriez éventuellement le répéter au téléphone ? À l’inverse, le particulier s’est vu refuser dans de nombreux pays la possibilité d’appeler au boycott des compagnies qui se conduiraient de manière arbitraire envers lui, le boycott ayant été interdit par la loi.
Aux États-Unis en particulier, où les représentants du peuple sont toujours élus mais sont indirectement rémunérés par des compagnies privées et où le droit pour ces dernières d’injecter des sommes d’un montant illimité dans les campagnes électorales leur permet de fait d’exercer un véto contre les candidats qui n’ont pas l’heur de leur plaire, une réponse commence à apparaître au sein de réseaux de vigilance citoyenne qui traquent l’asymétrie entre consommateur et prestataire de service. Ces réseaux sont ainsi parvenus récemment aux États-Unis à bloquer une proposition de loi (le Président Obama a opposé son véto à HR-3808) qui, en accordant statut légal aux documents produits par une association d’établissements financiers accordant des prêts hypothécaires, aurait encore aggravé l’asymétrie de traitement entre eux et leurs clients. Et ils attirent en ce moment-même l’attention sur une manœuvre de la Federal Reserve, la banque centrale américaine, qui s’apprête, à la demande de ces établissements de crédit, à éliminer la procédure de recours pour invalidité contre la saisie d’un logement, dite « rescision », pour couper l’herbe sous le pied duConsumer Financial Protection Bureau qui sera mis en place en juillet de l’année prochaine. D’autres initiatives citoyennes agissent dans le même esprit à l’échelle mondiale, ainsi, l’organisation canadienneAvaaz.org, créée en 2007, et qui affirme compter déjà plus de six millions de membres.
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