Madoff : une escroquerie à 50 milliards de dollars…
Économie décembre 30th, 2008 L’affable Bernard Madoff a réussi à escroquer 50 milliards de dollars aux plus grandes fortunes, aux plus grandes banques, mues par une avidité et une rapacité sans limites… Et tout ça avec une méthode vieille comme le monde (chaine de Ponzi : on paie les intérêts des premiers souscripteurs avec leur propre capital et le capital des nouveaux adhérents…).
L’escroquerie à 50 milliards de dollars
Cette semaine, certains sont tombés sur le cul. Madoff, L’ancien patron du NASDAQ, personnage très réputé sur la place boursière de New-York aurait estourbi tout le gotta boursicoteur, des banques d’investissement et de dépot dans un schéma d’investissement pyramidal de type Ponzi. C’est à dire une escroquerie de taille, qui fait miroiter des rendements exceptionnels du genre 15% à des gogos. Pour ce faire, l’escroc doit trouver sans cesse de nouveaux gogos qui sont plumés pour financer les autres et ainsi de suite. Tant que ça bouge aucune crainte.
Cet ancien président du conseil d’administration du Nasdaq, l’une des deux grandes bourses de New York était arrivé à l’âge de ses 70 ans à être l’un des meilleurs pilliers du conseil et de l’investissement de Wall Street, à la réputation impeccable et cumulant une liste de clients exclusifs. La Sec est apparue totalement surprise à l’annonce de son arrestation selon le New York Times.
Ce résume trouvé sur France-Soir, vous montre que l’escroc était quelqu’un de très réputé. Pensez donc un des piliers de l’investissement et du conseil. Ces gens là peuvent vous promettre 15% de rendement annuel lors d’un diner entre gens biens et rien qu’a vous. Forcément, on est entre gens biens : Dirigeants, riches rentiers et héritiers sans doute exténués par des années de travail.
Donc voilà un génie aux yeux de ses pairs et de ses clients. Il faut dire qu’il avait présidé le conseil d’administration du NASDAQ et donc trompé dans la bulle TIC des années 2000. Et ce génie ne s’est adressé au tout-venant. Son entreprise recrutait ses clients sur invitation. Et cela durait depuis quelques années. Il fréquentait les très select clubs pour riches nantis, et y sélectionnait ses clients. Un génie qui apparait tout seul, nul besoin de frotter un vieux bouzin. C’est très pratique pour les clients qui se sentent alors supérieurs aux autres. Et avec une tronche comme celle-là, ça rassure le vieux riche qui a un patrimoine à placer.
Ceux-ci ne se sont pas inquiétés, pensez donc, la belle affaire que voilà : Des rendements prévus de l’ordre de 15% voilà de quoi financer toutes sortes d’autres affaires. Ce fantasme de 15% m’en rappelle d’autres, comme ceux des fonds de pensions qui réclament eux aussi des rendements de 10 ou 15%. Tout cela est lié, pas la peine d’être devin ou expert.
Le New York Times rapporte qu’une firme de conseil en hedge funds, Fairfield Greenwich Group, aurait investi 7,5 milliards de dollars avec Madoff. On se demande quelles seront les conséquences sur l’économie réelle de telles échecs. On sait déjà ce que les obligations de rendements loufoques ont produit dans le monde réel: Augmentation de la pauvreté des salariés, précarité , délocalisations et salaires de misère dans les pays « cible »…
Les pourris bouffent entre eux et s’escroquent mutuellement. Tant que le système reste fluide, les gogos restent dans l’illusion de la martingale et s’endettent auprès d’autres organismes sans doute eux aussi clients de la martingale.
Certains font semblant de s’étonner comme celle là citée par le Figaro:
A Londres, une personnalité de la City, Nicola Horlick, présidente d’une société de gestion cliente de Bernard Madoff, a dénoncé la «défaillance systémique» des autorités de régulation américaines. «Il est étonnant que cette fraude manifeste ait perduré semble-t-il depuis si longtemps, probablement depuis des décennies», a-t-elle déclaré.
Vous comprenez aisément qu’on peut les appeler gogos. Celle la préside un groupement de gogos et s’étonne d’avoir été cliente d’une fraude manifeste. Ni plus ni moins. Cette idiote va sans doute devoir expliquer dès lundi à ses clients gogos que leur oseille avait rétréci au lavage.
Quand à la France pour l’instant aucun aveu, il faut se contenter de ce que le Wall Street Journal annonce : la BNP-Paribas se serait fait elle aussi avoir. Giant French bank BNP Paribas, Tokyo-based Nomura Holdings Inc. and Neue Privat Bank in Zurich are also exposed, according to people familiar with the matter. Vous vous souvenez des têtes des banquiers sur le perron de l’Élysée au moment de la crise des subprimes ? Pour eux tout était sous contrôle. Restera sans doute à déterminer la nature du contrôle… et à voir leurs grimaces si jamais ils acceptent de répondre aux questions des journalistes.
En tout cas, selon le WSJ, les victimes US, la bande de gogos ce n’est pas du tout venant :
The alleged fraud has « swept up some of the most prominent and wealthy Americans, along with many people who thought they were embarking on a comfortable retirement and have now been left destitute, » says Brad Friedman, a lawyer at Milberg LLP, which with Seeger Weiss LLP represents more than 30 investors with losses they believe could total more than $1 billion.
Quel sera le profil des gogos européens ? On en frémit d’avance. Cela confirmera une chose simple : On peut être riche, cultivé, bien élevé et être bête à manger du foin….
Terminons par une analyse du grand économiste Paul Krugman
Madoff, la finance devenue folle, par Paul Krugman
Madoff est-il le mouton noir de Wall Street ou bien l’exemple type d’un secteur qui se serait affranchi de toute morale dans sa quête frénétique de l’enrichissement rapide ? François Mitterrand avait en son temps dénoncé « l’argent qui corrompt tout. » Krugman n’est pas loin de partager cet avis.
La révélation que Bernard Madoff – un investisseur brillant (ou tout au moins vu comme tel), philanthrope, une figure de la communauté – était un escroc, a choqué le monde entier, de façon fort compréhensible. L’ampleur prise par son escroquerie pyramidale de 50 milliards est difficile à comprendre.
Je ne suis sûrement pas le seul à poser cette question évidente : A quel point l’histoire de Madoff est-elle différente de celle de la finance dans son entier ?
Le secteur des services financiers a obtenu une part toujours croissante des revenus de la nation durant ces 20 dernières années, ce qui a rendu les dirigeants de ce secteur incroyablement riches. Pourtant, à ce stade, il semblerait que la majorité des entreprises du secteur aient détruit de la valeur, au lieu d’en créer. Et ce n’est pas seulement une question d’argent : la grande richesse acquise par ceux qui ont géré l’argent des autres a eu un effet corrupteur sur notre société dans son ensemble.
Voyons tout d’abord les salaires. L’an dernier, le salaire moyen des employés du secteur « valeurs mobilières, contrats sur les matières premières et investissements » s’établissait à plus de quatre fois le salaire moyen pratiqué dans le reste de l’économie. Gagner un million de dollars était banal, et même des revenus de 20 millions de dollars ou plus étaient assez communs. Les revenus des Américains les plus riches ont explosé depuis 20 ans, alors que dans le même temps les salaires des travailleurs ordinaires stagnaient. Les hauts revenus de Wall Street ont été l’une des principales causes de cette divergence.
Mais ces superstars de la finance avaient tout de même fait gagner des millions, non ? Non, pas nécessairement. Le système de rémunération en vigueur à Wall Street récompense généreusement l’apparence de profit, même si ultérieurement cette apparence se révèle n’être qu’une illusion.
Considérez par exemple l’hypothèse d’un gestionnaire de fonds qui fait jouer un effet de levier en ajoutant un paquet d’argent emprunté à celui apporté par ses clients, puis investit ce total dans des actifs risqués à haut rendement, comme ces titres douteux adossés aux emprunts immobiliers. Pendant un certain temps – disons, tant que la bulle immobilière continue de gonfler – il (c’est presque toujours un « il ») fera de gros profits et recevra de gros bonus. Puis, lorsque la bulle éclate et que ses investissements se transforment en déchets toxiques, ses investisseurs perdront gros – mais lui conservera ses primes.
OK, mon exemple n’est peut-être pas hypothétique, après tout.
En quoi donc les pratiques habituelles de Wall Street sont-elles différentes de l’affaire Madoff ? Eh bien, M. Madoff aurait apparemment sauté quelques étapes, en se contentant de voler l’argent de ses clients plutôt que d’empocher de gros frais de gestion tout en les exposant à des risques qu’ils ne comprenaient pas. Et alors que M. Madoff était apparemment conscient de sa fraude, de nombreux gestionnaires de Wall Street croyaient en leur talent. Pourtant, le résultat final est le même (prison mise à part) : les gestionnaires de fonds s’enrichissent et les investisseurs voient disparaître leur argent.
Il y a beaucoup d’argent en jeu dans cette histoire. Ces dernières années, le secteur financier représentait 8% du PIB américain, contre moins de 5% une génération plus tôt. Si ces 3% supplémentaires ont été obtenu sans raison – et c’est probablement le cas – cela représente 400 milliards de dollars par an de gaspillage, de fraude et d’abus.
Mais la facture de cette ère de l’Amérique des escroqueries pyramidales va certainement au-delà du gaspillage de dollars.
Car bien évidemment les gains injustifiés de Wall Street ont corrompu et continuent à corrompre le monde politique, Démocrates comme Républicains. Depuis les fonctionnaires de l’administration Bush comme Christopher Cox, le président de la Securities and Exchange Commission, qui a détourné le regard lorsque s’accumulaient les preuves de fraude financière, jusqu’aux Démocrates qui n’ont toujours pas mis fin à la scandaleuse niche fiscale qui bénéficie aux dirigeants des hedges funds et des fonds privés d’investissements (bonjour M. le sénateur Schumer !), les hommes politiques ont répondu à l’appel de l’argent.
Dans le même temps, à quel point l’avenir de notre pays a-t-il été compromis par cette fascination pour l’enrichissement rapide qui a attiré pendant des années bon nombre de nos jeunes les meilleurs et les plus brillants dans les banques d’affaires, au détriment de la science, du service public et d’à peu près tout le reste ?
Plus encore, les grandes richesses gagnées – ou qui auraient du l’être – par un secteur financier surdimensionné ont sapé notre sens de la réalité et altéré notre jugement.
Souvenez-vous comment pratiquement tous les dirigeants n’ont pas su voir les signes annonciateurs d’une crise imminente. Comment était-ce possible ? Comment, par exemple, Alan Greenspan a-t-il pu déclarer il y a quelques années que « le système financier dans son ensemble est devenu plus résilient » – grâce à rien moins que les produits dérivés ? La réponse, pour moi, c’est que il existe une tendance innée chez l’élite à idolâtrer les hommes qui font beaucoup d’argent, et à en déduire qu’ils savent ce qu’ils font.
Après tout, c’est la raison pour laquelle tant de gens ont fait confiance à M. Madoff.
Maintenant que nous constatons les dégâts en tentant de comprendre comment les choses ont pu tourner aussi mal, aussi rapidement, la réponse est très simple : Ce que nous avons sous les yeux, ce sont les conséquences d’un monde devenu fou, devenu Madoff.
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Publication originale New York Times, traduction Contre Info
Édifiant… Chapeau l’artiste, en tous cas…