Édito lu avec grand intêret dans l’excellent Canard enchainé, numéro 4607 du 11 février 2006
On ne le saluera jamais assez, mais cet Eric Besson, quelle trajectoire, tout de même ! Passer d’abord du socialisme au sarkozysme en pleine présidentielle, dans des conditions qu’on ne raconte plus. Entrer ensuite dans le gouvernement Fillon. Prendre sa carte et des responsabilités à l’UMP. Puis devenir fier patron du ministère affreux, celui de l’Identité nationale et des charters. Lancer, enfin, aux sanspapiers un vibrant appel à la délation en échange de titres de séjour. Et, pour couronner le tout, être adoubé par Frédéric Lefebvre, qui salue là un grand geste en faveur du « devoir républicain ». C’est l’apothéose, la consécration !
Ce sans-faute, le député villepiniste Jean-Pierre Grand le résume ainsi (« Le Figaro », 6/2) : « Après avoir quitté le PS, ce n’est pas l’UMP que Besson aurait dû rejoindre. C’est au Front national qu’il devait adhérer. » Jean-Pierre Grand est méchant. En réalité, Besson ne fait qu’appliquer fidèlement les recettes de son nouveau mentor de l’Elysée.
Il veut faire un coup ? Rien de plus facile. Besson s’invite, le 4 février au matin, chez l’ami Jean-Pierre Elkabbach, sur la radio Lagardère Europe 1. A la même heure, tiens donc, un vaste coup de filet a lieu à Paris, où sont interpellés plusieurs membres de réseaux d’immigration clandestine entre la Chine et l’Angleterre. Le moment est idéal, Besson annonce sa mesure-choc : inciter les clandestins à dénoncer les passeurs et leurs filières.
Le lendemain, le 5 février, bingo ! « Le Figaro », avec photo du ministre déterminé à l’appui, titre en gros : « Clandestins : Besson déclare la guerre aux passeurs ». Le tout accompagné, bien évidemment, d’un long développement sur la vague d’arrestations à Paris, tombées à pic.
Le même jour, pas de temps à perdre
Besson dégaine sa circulaire, déjà prête (!), à destination des préfets. En échange d’une « coopération » avec la police, tout « immigré clandestin victime de proxénétisme ou d’exploitation » pourra obtenir une carte de séjour s’il cause. Mais attention ! une carte provisoire de six mois renouvelables, seulement. Le titre de dix ans, c’est « si une condamnation effective est prononcée ». Eh oui, mon petit gars, c’est ça la politique du résultat, la prime au mérite. Si pas de condamnation, charter et retour maison !
Bien sûr, ce dispositif est révolutionnaire. Un vulgaire copier-coller de la loin de 2003 de Sarko, qui proposait l’hospitalité aux prostitués qui dénonçaient leur proxénète. Qu’importe si ce texte a prouvé son inefficacité: une dizaine de cas à peine ont fini au tribunal. Qu’importe si les sanspapiers ne causent généralement pas par peur des représailles à l’encontre de leurs familles. Qu’importe si, dans la plupart des cas, ils ignorent tout des ramifications des réseaux qui les trimballent. L’important, en Sarkozye, c’est de co-mmu-niquer. Et, surtout, d’en rajouter, avec émotion : « Aujourd’hui, je leur dis « Oui, sortez de vos ateliers, quittez vos caves ( … ) et coopérez avec nous pour démanteler ces filières. Vous serez bien accueillis, nous vous aiderons ! « », a lancé sans rire Besson, depuis son annonce.
Il ne lui manque plus qu’une étape. Aller sur France 2 pour éteindre la polémique, façon: « C’est quand même extraordinaire, mââme Chabot ! Qu’est-ce que je leur dis, moi, aux parents de la petite sans-papiers qui a payé 10 000 euros, qui a voyagé pendant deux mois dans une soute à bagages, qui a été battue et violée ? »
Allez, monsieur Besson, encore un petit effort, vous y êtes presque.
Christophe Nobili