Trouvé sur le blog de Maitre Eolas :
Les mots ont un pouvoir, mais limité. Parfois, souvent, des images font mieux.
Venez, je vous emmène dans les sous-sols et les arrières-cours de la République.
Voici deux endroits où, au dessus de l’entrée, vous pourrez lire « République Française — Liberté, égalité, fraternité. »
Le premier est la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, où j’ai quelques clients en ce moment même. Des détenus ont réussi à faire passer à l’intérieur une arme terrible. Une caméra vidéo. Ils en ont sorti 2h30 d’images, dont Le Monde nous offre un petit montage. Les douches extérieures et intérieures. Les cellules. La saleté. Ce que même les avocats ne voient pas.
Et maintenant, de l’exotisme, avec le Centre de rétention de Pamandzi, sur l’île de Mayotte. Un centre de rétention n’est pas une prison. C’est un endroit où sont placés des étrangers en attente de leur reconduite à la frontière. En l’espèce, un seul pays : l’Union des Comores. Mayotte fait partie de cet archipel de quatre grandes îles. Trois îles ont accédé à l’indépendance en juillet 1975 : Grande Comore, Mohéli, et Anjouan. La quatrième île, Mayotte, est restée française car le non à l’indépendance l’a emporté, sur décision unilatérale du premier ministre français d’alors (un certain Jacques Chirac). Avec pour conséquence la séparation de familles : les mahorais ont tous des cousins aux Comores et vice-versa.
En attendant leur expulsion, ils sont placés au centre de rétention de Pamandzi. Capacité : 60 places. Occupation effective : environ 200. La Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité a, dans un avis du 14 avril 2008 sur lequel je vais revenir, déclaré, dans le plus pur style dit de l’euphémisme administratif :
Les conditions de vie au centre de rétention administrative de Mayotte portent gravement atteinte à la dignité des mineurs retenus, demandant que « les mineurs ne soient plus placés en rétention dans l’actuel centre de rétention administrative de Mayotte ».
Voici des images du centre de rétention de Pamandzi, en octobre dernier. Voyez l’image à 1’19 » pour voir comme il a été tenu compte de cet avis.
Alors fatalement, quand on voit cela, on comprend mieux le post de Maître Eolas appelé La lettre :
Par Eolas, vendredi 12 décembre 2008
C’est une enveloppe perdue parmi les factures, les recommandés et les courriers officiels. Elle attire tout de suite l’attention par son écriture tremblante, un peu enfantine, signature de celui pour qui écrire est une épreuve. Un coup d’œil au dos confirme l’intuition. Un nom, un numéro d’écrou, une adresse que l’on connaît par cœur : c’est la lettre d’un client détenu. C’est la première qu’on lit, toujours.
À l’intérieur, du papier à lettre bas de gamme avec des lignes pré-tracées, ou parfois la simple page d’un cahier d’écolier arrachée, à gros carreaux, parce que c’est là-dessus qu’il a appris à écrire.
C’est un client que l’on vient de défendre aux assises, pour un braquage minable. Pas de blessés, mais un casier bien fourni. 7 ans fermes. Une autre affaire en cours, en correctionnelle, mais qui ajoutera quelques années au compte à rebours avant la sortie. Peu de chances d’obtenir la confusion des peines, mais le client le sait et s’est fait une raison.
Cela fait quatre ans qu’il est en détention provisoire. Aucun problème de discipline. Il a été transféré dans quatre maisons d’arrêt d’affilée au cours de l’instruction. Ce qui a eu pour conséquence que pendant trois années, il n’a pas eu de parloirs avec sa famille, trop pauvre pour faire le voyage jusqu’à ses lieux de détention. Il n’a pas vu son fils pendant trois ans (il en a sept aujourd’hui). Il l’a vu grandir par ses dessins et les photos glissés avec le courrier, et son sourire édenté est la principale source de lumière de sa cellule.
Le procès d’assises l’a ramené il y a trois mois dans la maison d’arrêt de sa ville d’origine. Il a enfin pu revoir sa famille. Sa compagne. Sa mère. Son fils.
Mais le verdict est tombé, il ne fera pas appel. Il est encore sous mandat de dépôt pour une autre affaire, mais cette maison d’arrêt est trop pleine.
Un vendredi, on vient lui apprendre qu’il allait repartir pour une autre maison d’arrêt. Loin. Trop loin pour sa famille.
Alors, le mardi suivant, il a pris le stylo que se partagent ses codétenus et lui, une feuille de papier et il a écrit à son avocat, car il n’y a qu’à lui qu’il arrive à se confier. C’est le seul qui l’écoute, le comprend, le défend. Et il a écrit, avec peine, ces mots que l’avocat qui le lit se prend dans la figure.
La lettre, comme cette histoire, est authentique, l’orthographe est inchangée, seul quelques éléments ont été modifiés ou ôtés pour anonymiser la lettre.
Maïtre,
je vous écrie car je suis a bou ils mon dis que je suis transféré alors que je vien juste d’avoir parloir avèc ma mère et que ma copine ma écrie pour me dire quelle allée venire me voir avec mon fils.
Maïtre je peu pas repartire je préfair encore me foutre en l’air, donque je suis déssidé a ma suissidé même si j’ai peur de le fair, je vé le fair d’une façon ou d’une autre parce que je peu plu vivre comme sa.
La seul chose que je demende c’est pouvoir voir ma famille et ont me le refuse, à quoi sa saire les lois ou ils dise que tou détenu doi être dans la prison la plu proche ou vie sa famille ?
Maître si je vous écrie c’est pour que quand je serai dans le journal comme encor un détenu suissidé quil s’ache pourquoi je me suis tuée, parce que ont me transfère alor que ma famille et ici et que elle ne peu pas venire me voir dans une autre prison, je conte sur vous Maître.
Et pour ma mère, vous lui diré que je l’aime, je sais je vous laisse le sale boulo mais j’ai pas la force de lui dire.
Maître je vous laisse et je vous dis encor mèrci de m’avoir défendu et soutenu, Mèrçi
La lettre date d’il y a trois jours. Aussitôt, on prend son dictaphone pour dicter un fax au directeur d’établissement lui signalant le risque suicidaire.
Et là, le téléphone sonne. C’est la mère du client. Elle est en larmes et dit que c’est très urgent. Un frisson glacial nous traverse et on dit que bien sûr, on prend l’appel.
La nuit précédente, son fils s’est ouvert les veines dans sa cellule.
Il a pu être sauvé par l’intervention rapide des surveillants alertés par ses voisins de cellule.
Aux dernières nouvelles, son transfert, repoussé par son hospitalisation, est toujours d’actualité. Les décisions d’affectation sont considérées comme des mesures administratives d’ordre intérieur ne faisant pas grief, c’est à dire insusceptibles de recours (CE, 8 décembre 1967, Kanayakis).
Depuis le début de l’année, 107 personnes se sont suicidées dans les prisons en France, le dernier en date dimanche dernier, à la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan. Il avait 24 ans.
Une association existe, Ban Public, qui a pour but de favoriser la communication sur les problématiques de l’incarcération et de la détention, et d’aider à la réinsertion des personnes détenues. Elle animele site www.prison.eu.org tient à jour
L’adhésion ne coute que 25 € par an, et est déductible fiscalement à 60 %… Ça met le soutient à trois fois rien…