Je vous signale un excellent numéro de Courrier international, du 18 décembre 2008, sur la disparition des civilisations (consultable en ligne pour les abonnés).
Un article sur les Mayas – L’éternité ne dure qu’un temps…
[…] Peu après son apogée, vers l’an 800 de notre ère, la civilisation maya, la plus avancée de toute l’Amérique à son époque, est entrée en décadence. Des royaumes se sont effondrés, des monuments ont été saccagés, les grandes cités de pierre ont été abandonnées. L’énigme de son effondrement passionne depuis longtemps les spécialistes. Les événements récents éclairent les travaux sur les Mayas d’une lumière trouble, suscitant de l’anxiété et un mauvais pressentiment. Et si nous devions connaître le même sort que les Mayas ? Si le réchauffement de la planète et la crise financière mondiale étaient les signes avant-coureurs du désastre ? Des gens très sérieux n’hésitent plus à poser ce genre de question.
Nul n’affirme que la végétation va envahir Wall Street ou que des singes hurleurs vont pourchasser des banquiers à costumes rayés dans Manhattan. Les rois mayas qui étaient jugés incapables étaient rituellement torturés et sacrifiés, le pénis transpercé par un dard de raie pastenague. A notre époque, la seule chose sacrifiée, ce sont les primes. Il existe cependant des parallèles frappants entre la chute des Mayas et les convulsions actuelles. “On se croit très différents”, commente l’Américain Jared Diamond, biologiste de l’évolution et auteur du best-seller Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (Gallimard, 2006). “En fait, toutes ces puissantes sociétés du passé se sont crues elles aussi uniques, jusqu’au jour de leur effondrement.” Les Mayas, comme nous, étaient au sommet de leur puissance quand leur civilisation a commencé à se déliter, juge-t-il. A l’heure où les marchés vont droit vers l’inconnu et où la calotte glaciaire continue de fondre, les universitaires et les analystes sont de plus en plus nombreux à tirer la sonnette d’alarme.
Qu’est-il donc arrivé aux Mayas ? Selon la thèse de Diamond, les anciens Mayas ont été victimes de leur succès. La population s’est développée, puisant dans les ressources jusqu’au point de rupture. Les élites politiques ne sont pas parvenues à résoudre des problèmes économiques devenus de plus en plus graves et le système s’est effondré. Il n’a pas fallu de cataclysme ni d’épidémie. Ce qui est venu à bout des Mayas, c’est une lente dégradation de l’environnement que leurs dirigeants n’ont pas vue venir à temps. […]
Certains anthropologues n’aiment guère les rapprochements entre les sociétés anciennes et modernes, car ils estiment que c’est sortir du cadre scientifique. Webster n’est pas de cet avis. “Nous avons en commun avec les Mayas de ne pas percevoir de manière très rationnelle la manière dont le monde fonctionne. Ils avaient leurs rituels et leurs sacrifices – de la magie, en somme. Or nous aussi, nous croyons à la magie : nous sommes convaincus que l’argent et l’innovation nous permettront de franchir les limites inhérentes à notre système, comme si les vieilles règles ne s’appliquaient pas à nous.”
Si les courtiers et leur charabia sur la titrisation et les produits dérivés ressemblent furieusement aux prêtres mayas et à leurs incantations dans les temples, alors Bush et Brown sont ces rois malavisés qui les encourageaient au lieu de mettre en doute leur “magie”. Du temps où il était chancelier de l’Echiquier, Gordon Brown applaudissait aux tours de passe-passe. “Budget après budget, je veux que nous encouragions de plus en plus les preneurs de risques”, déclarait-il en 2004. […]
Plusieurs commentateurs font valoir que la crise financière n’est qu’une bourrasque par rapport à l’ouragan écologique qui se prépare. Une étude européenne estime que la déforestation nous fait à elle seule perdre chaque année un capital naturel d’une valeur située entre 2 et 5 milliards de dollars. Si tel est le cas, les Mayas offrent un aperçu sinistre de ce qui nous attend. “Leur population croissait à un rythme fou, un peu comme si l’on conduisait une voiture de plus en plus vite jusqu’à ce que le moteur explose”, explique Webster, l’anthropologue. “Regardez-nous. J’ai 65 ans. Quand je suis né, il y avait 2 milliards d’individus sur cette planète, maintenant nous approchons des 7 milliards. C’est extraordinaire.” Les contraintes sur des ressources limitées finiront par déborder nos capacités technologiques. “La suffisance occidentale consiste à imaginer que nous pouvons tout avoir – et nous appelons ça le progrès, poursuit Webster. Je suis content de ne pas avoir trente ans de moins. Je ne veux pas voir ce qui va arriver dans quarante ou cinquante ans.” […]
Est-ce que ce sera suffisant ? Les civilisations grandissent – et s’effondrent – pour de nombreuses raisons. S’il y avait une leçon simple à tirer de ces ruines d’Amérique centrale, c’est qu’il faut défendre l’environnement et maîtriser la croissance démographique. C’est ce qu’affirme Michael Coe, auteur en 1966 d’un texte qui a fait école, The Mayas. “Aucune civilisation n’est éternelle, rappelle-t-il. La plupart durent entre 200 et 600 ans.” Les Mayas, les Romains et les Khmers d’Angkor ont duré six siècles. Et nous ? “La civilisation occidentale a commencé avec la Renaissance, donc on arrive à 600 ans, assure Coe. La différence, c’est que nous avons le choix entre laisser la situation se détériorer et trouver des solutions. La science nous donne ce choix. Mais il faudra de la volonté de la part des gouvernants comme de la part des citoyens.” Coe, l’un des plus grands spécialistes mondiaux de l’effondrement des civilisations, s’interrompt, puis reprend : “A vrai dire, je ne sais pas si nous avons une telle volonté.” (à lire en intégralité sur le site de Courrier International« )
Un second article : Disparition à l’horizon ?
L’apocalypse. La fin de la civilisation. La littérature et le cinéma regorgent de récits de fléaux, de famines et de guerres qui ravagent la planète pour ne laisser que quelques rescapés qui survivent tant bien que mal en menant une existence primitive sur les ruines de l’ancien monde. Dans l’histoire, aucune civilisation n’a échappé à la disparition. Pourquoi en serait-il autrement pour la nôtre ? Les scénarios d’apocalypse reposent le plus souvent sur une catastrophe décisive : gigantesque astéroïde qui menace la Terre, guerre nucléaire ou encore pandémie. Pourtant, il est une autre éventualité tout aussi glaçante : et si c’était la nature même de la civilisation qui la condamnait, la nôtre comme toutes les autres, à péricliter tôt ou tard ?
Ils sont quelques scientifiques à l’affirmer depuis des années. Fait inquiétant, des découvertes récentes dans divers domaines, notamment dans celui de la complexité, semblent leur donner raison. Apparemment, au-delà d’un certain niveau de complexité, une société commence à se fragiliser, tant et si bien qu’il suffit d’une perturbation relativement minime pour provoquer un effondrement total. Nous aurions déjà atteint ce point, estiment certains spécialistes, et il est grand temps de réfléchir à la façon dont nous allons gérer la décadence. A l’inverse, d’autres assurent qu’il n’est pas encore trop tard, mais que nous pouvons – devons – agir sans tarder pour éviter le désastre. […]
Mais Homer-Dixon doute que nous puissions totalement éviter la décadence. Des tensions “tectoniques”, estime-t-il, feront sortir notre système rigide et très interdépendant de l’éventail de conditions bien précises auquel il est de plus en plus finement accordé. Il peut s’agir de croissance démographique, du creusement du fossé entre riches et pauvres, d’instabilité financière, de prolifération des armes, de disparition des forêts et des ressources halieutiques ou encore du changement climatique. Et, si nous imposons de nouvelles solutions complexes [à ces tensions], nous retomberons sur le problème du rendement décroissant – au moment même où se profile la fin de l’énergie abondante et bon marché. […]
Les enjeux sont énormes. Dans l’histoire, tous les déclins de civilisations se sont traduits par un fort recul démographique. “La population à son niveau actuel repose sur les carburants fossiles et l’agriculture industrielle, remarque Joseph Tainter. La disparition de ces deux facteurs entraînera une chute de la population mondiale dans des proportions effroyables.” Si la civilisation industrielle entre vraiment en décadence, ce sont les citadins, soit la moitié des habitants de la planète, qui seront les plus vulnérables. Et nous pourrions perdre ainsi l’essentiel de notre savoir si durement gagné. “Ceux qui ont le moins à perdre sont les paysans pratiquant l’agriculture de subsistance”, précise Yaneer Bar-Yam ; ceux qui survivront pourraient même voir leurs conditions de vie s’améliorer. Un mal pour un bien ? (à lire en intégralité sur le site de Courrier International« )
Et un dernier sur les épidémies : On se tient tous par la barbichette…
Depuis des années, on nous prédit une pandémie. De grippe ou d’autre chose. Nous savons que des quantités de gens vont mourir. Aussi terrible que puisse être une telle perspective sur une planète de plus en plus surpeuplée, on ne peut s’empêcher de se demander si, d’une manière ou d’une autre, les survivants ne s’en trouveraient pas mieux. Ne serait-il pas plus facile de transformer la société moderne en quelque chose de plus viable si – Dieu nous préserve – nous étions un jour moins nombreux ?
Mais pourrait-on revenir à un semblant de vie normale après une pandémie dévastatrice ? Des virologues parlent parfois de leurs scénarios cauchemardesques – une épidémie d’Ebola ou de variole – comme de “la fin d’une civilisation”. […]
Une idée très répandue veut que la société ait atteint une dimension, une complexité et un niveau d’innovation qui la mettent à l’abri de l’effondrement. “C’est un argument si enraciné dans notre inconscient et dans le discours public qu’il a pris le statut de réalité objective. Nous nous croyons différents”, écrit Jared Diamond, biologiste et géographe à l’université de Californie à Los Angeles, dans Collapse, un livre publié en 2005 [édité par Gallimard en 2006 sous le titre Effondrement]. Un nombre croissant de chercheurs suggère cependant que, loin d’être plus résistante, notre société est de plus en plus vulnérable. Si une grave pandémie éclatait, la maladie pourrait n’être que le début de nos problèmes. Aucune étude scientifique – du moins parmi celles qui ont été publiées – n’a cherché à savoir si une pandémie à forte mortalité pourrait entraîner l’effondrement de la société. La grande majorité des plans de lutte contre les phénomènes pandémiques ne prend pas en compte le fait que des systèmes fondamentaux pourraient s’écrouler. […]
Bien entendu, il y a déjà eu de nombreuses pandémies. En 1348, la Peste noire a décimé un tiers de la population de l’Europe. Son impact a été énorme, mais la civilisation européenne ne s’est pas effondrée pour autant. Au XIVe siècle, l’Europe fonctionnait selon une hiérarchie féodale dans laquelle plus de 80 % de la population était paysanne. Chaque mort représentait un producteur mais aussi un consommateur de moins, si bien que les conséquences n’ont pas été dramatiques. “Dans une hiérarchie, aucun membre n’est crucial au point de ne pas pouvoir être facilement remplacé”, observe Yaneer Bar-Yam, directeur de l’Institut des systèmes complexes de Nouvelle-Angleterre à Cambridge, dans le Massachusetts. “Les monarques mouraient, mais la vie continuait.”
Dans une structure aussi intriquée que la nôtre, cependant, M. Bar-Yam pense que la perte de personnages clés pourrait être décisive. “Dans un système très complexe, la perte inconsidérée d’éléments est très dangereuse, dit-il. L’un des résultats fondamentaux de la recherche est que, dans des systèmes d’une grande complexité, les individus ont de l’importance.” La même conclusion s’est dégagée d’une source totalement différente : des simulations dans lesquelles des décideurs politiques et économiques imaginent ce qui se produirait si une pandémie de grippe éclatait. “L’un des grands moments est toujours celui où les dirigeants d’entreprise se rendent compte à quel point ils ont besoin de personnages clés”, souligne Paula Scalingi, qui effectue des simulations de pandémie pour la région économique du Nord-Ouest du Pacifique, aux Etats-Unis. “Les gens constituent l’infrastructure essentielle.” […]
Si une épidémie s’installe, certains pays seront peut-être tentés de fermer leurs frontières. Mais imposer une quarantaine n’est plus désormais une solution. “Aujourd’hui, aucune nation n’est autosuffisante pour quoi que ce soit”, remarque John Lay, responsable de la préparation aux situations d’urgence chez ExxonMobil. […]
Aussi l’ultime question est-elle : si une foule d’individus mouraient et si de nombreux équilibres étaient menacés, serions-nous capables de remettre le système en état de fonctionner ? “Cela dépendrait en grande partie de l’importance du déclin de la population”, estime l’anthropologue et historien Joseph Tainter, de l’université de l’Utah. “L’éventail des possibilités va d’un effet mineur à une récession modérée ou une crise majeure, et se termine sur un effondrement.” (à lire en intégralité sur le site de Courrier International« )

Evoquer la disparition des civilisations ne peut se faire sans référence à l’essai fondamental de Jared Diamond, Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (Gallimard, “NRF Essais”, 2006)
Le livre est une étude comparée de la disparition de certaines civilisations telles celles des Mayas ou des Vikings du Groenland, mais aussi de l’adaptation d’autres qui ont su évoluer et survivre, notamment celle du Japon de l’ère Tokugawa. Pour Diamond, biologiste et géographe, le poids de l’environnement ne saurait à lui seul tout expliquer, même s’il est essentiel. Le chercheur recense cinq facteurs influant sur la disparition – ou la survie – d’une civilisation : un environnement altéré ; une modification du climat ; des conflits avec les populations voisines ; une dépendance liée aux échanges commerciaux ; et, enfin, facteur clé, le type de réponses apportées par une société, selon ses croyances et ses valeurs, aux problèmes qui se présentent à elle.