Quelques extraits de son excellent blog…

>Le coach obèse

le 4 août 2009 21h41 | par Jacques Attali

Si l’envie vous prenait, en ces temps de vacances, de suivre les cours d’un coach, qui vous promettrait d’affiner votre silhouette, de vous remettre en forme, et de vous rendre plus agile, accepteriez vous de suivre aveuglement les prescriptions exigences, les exercices pénibles et les pénitences austères d’un coach obèse ? Non, évidemment ; vous lui demanderiez de commencer par s’appliquer à lui-même ses propres conseils avant de les prodiguer à d’autres.

C’est pourtant ce que l’Etat nous demande aujourd’hui : Il n’est pas avare de ses conseils, de ses impérieux conseils, aux contribuables, aux consommateurs, aux salariés, aux électeurs, aux citoyens : Epargnez plus, consommer mieux, ne fumez plus, réduisez votre consommation d’alcool, de pétrole ; acceptez , pour sauver votre entreprise ou votre retraite, de travailler plus longtemps, de réduire l’augmentation de votre salaire, de déménager ; acceptez même la flexibilité, la fluidité, la précarité, la vulnérabilité. C’est une question, nous dit on, de survie pour le pays.

Fort bien ; et certains de ces conseils méritent d’etre suivis. Mais que fait, pour se réformer lui-même, celui qui prétend diriger la vie des autres ? Peu de choses. Beaucoup trop peu de choses. Et quand il les fait, elles sont mal faites. Par exemple, le remplacement, souvent justifié, d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, et la réduction du nombre de directions dans les administrations centrales, pénalisent parfois beaucoup trop les ministères sociaux ; et elles seraient mieux perçues et plus efficaces dans le cadre d’une réforme d’ensemble des fonctions de l’Etat, qui éviterait aussi l’actuelle hémorragie des talents dans la haute fonction publique. Pour le reste, rien ne progresse : la nécessaire fusion des organismes publics est très peu avancée dans certains organismes (Chambres de Commerce, 1% logement, Tribunaux, Organismes de formation professionnelle) et pas du tout dans d’autres (Offices d’HLM, administrations communales et départementales). Rien n’est lancé non plus pour mettre en place une informatisation des services publics digne de ce qui se fait ailleurs. Et si ces réformes n’avancent pas, ce n’est pas, comme on l’entend dire, pour maintenir la qualité du service public, qui se dégrade, mais pour ne pas toucher à des privilèges et des rentes dont seuls bénéficient quelques notables.

Enfin, audace suprême, on parle en plus, pour financer la prolongation de ces gaspillages, d’un nouvel emprunt, qui sera naturellement financé, au bout du compte, par ceux à qui on demande aujourd’hui d’accepter la réforme de leur train de vie et la réduction de leur pouvoir d’achat.

C’est évidemment inacceptable. Et la moindre des choses serait que l’Etat s’engage, en signe de bonne volonté, à rembourser cet emprunt nouveau, et à servir les intérêts de sa dette, par des économies sur son train de vie. Les réformes à faire sont connues. Elles ont été déjà étudiées en détail et on sait très bien ce que peut rapporter une meilleure efficacité de gestion des services publics.

C’est pendant l’été, au moment où se fixe le budget pour l’année prochaine, que tout peut encore se décider. Si rien n’est fait, les citoyens pourraient un jour licencier leur coach. Et se prendre en main.

La théorie des complots

le 11 août 2009 8h10 | par Jacques Attali

Chaque fois qu’un événement considérable et énigmatique se produit, les hommes cherchent non seulement un responsable, mais, lorsqu’ils en sont les victimes, un coupable. Et ils ne se contentent pas en général d’un mobile, il leur faut un complot.

L’idée en est toujours séduisante : un complot donne à penser que l’inexplicable trouve sa source dans une action secrète, lâche, masquée, globale, cohérente, organisée longtemps à l’avance par un petit groupe, tirant les fils dans l’ombre, dont il suffirait de se débarrasser pour régler le problème.

Aujourd’hui, la théorie du complot fait florès pour expliquer la crise économique et financière. Ou plutôt la théorie des complots. Car en fait, mille et un comploteurs sont dénoncés : on entend dire de manière également péremptoire que la crise a été, depuis longtemps , voulue, pensée, organisée et conduite de main de maitre par l’ensemble des banques américaines, pour transférer leurs pertes sur les contribuables ; par Goldman Sachs pour écarter ses concurrents ; par les compagnies pétrolières , pour qu’une récession interrompe les investissements et pousse à la hausse le prix du brut; par les détenteurs d’or, pour le faire monter ; par les détenteurs d’argent, pour remplacer l’or ; par les Démocrates américains , pour en finir avec les Républicains ; par les Républicains pour laisser le sale boulot aux Démocrates ; par la Chine pour supplanter les Etats-Unis, en faisant baisser les taux d’intérêt, incitant les Américains à s’endetter; par les Etats-Unis, pour ruiner la Chine, qui a placé l’essentiel de ses réserves en dollars ; par la Banque Centrale européenne, pour mettre à genoux le dollar ; par les islamistes, pour détruire le capitalisme financier après avoir détruit les Twins Towers. Chaque tenant d’une théorie prétend détenir des preuves parfaitement documentées, solidement établies, issues de sources les plus sures, de la véracité de sa thèse.

Bien sur, certains des groupes dénoncés dans cette longue liste ont profité, profitent ou profiteront de la crise, d’une façon ou d’une autre, parce que plusieurs ont trouvé une façon d’en tirer le meilleur. Mais aucun d’entre eux n’en est le responsable ; ils ont réussi à en etre les bénéficiaires, ce qui n’est pas du tout la même chose. Tout autre, placé dans la même situation qu’eux, chercherait aussi à en tirer profit, ne serait ce que pour survivre. Et il est important de contraindre ces puissances à ne pas l’aggraver en en faisant leur miel.

D’autres encore désignent des comploteurs d’autant plus masqués qu’ils sont, eux, totalement imaginaires : les juifs, les francs-maçons, les Illuminatis.

De fait, s’il y a un complot, c’est bien celui ci: tout pouvoir, tout groupe de pression, même moribond, surtout moribond, a besoin, pour durer, de donner un sens à ce qu’il ne sait pas expliquer, et pour cela de dénoncer un complot et de designer un bouc émissaire. Et comme tous les pouvoirs, sont, dans la globalisation, chacun à sa manière, moribonds, il y aura avalanche de boucs émissaires, et les bourreaux s’entretueront.

Là est l’essentiel : aucun pouvoir, aucun contre-pouvoir, n’a plus la moindre influence sérieuse sur le cours des événements, parce que l’humanité s’est laissée déborder par les systèmes qu’elle a créés, à commencer par le marché. Et les théories du complot sont avant tout la manifestation de l’impuissance de l’humanité face à son destin.

Il faudrait donc avoir le courage, aujourd’hui, de s’attaquer aux règles du jeu, et non aux joueurs, si l’on veut éviter que la partie tourne au carnage.

>Banques: le triomphe des coupables par Jacques Attali

En 1929 une réglementation très stricte avait été imposée aux banques responsables de la crise, ce n’est même plus le cas.| lundi 3 août 2009
banques crise économique crise financière ECONOMIE Partager sur: La crise, chacun le sait, est largement de la faute des banques américaines, qui ont trop prêté et développé des produits spéculatifs. Pour les sauver, le Trésor américain leur a prêté de l’argent sans intérêt. Celles de ces banques qui n’ont pas fait faillite continuent à agir comme avant, inventant de nouveaux produits spéculatifs et ne prêtant, très chers, qu’à celles des entreprises qui n’ont pas vraiment besoin de leur argent.

Elles ont, en plus, aujourd’hui, une raison supplémentaire d’agir ainsi: tous les régulateurs leur enjoignant de reconstituer leurs fonds propres, elles le font, non seulement en utilisant tous les artifices comptables rendus possibles par les réformes d’avril, mais aussi en refusant de prêter aux particuliers et en exigeant des intérêts énormes des grandes entreprises désespérément à la recherche de liquidités.

Comme les intérêts que ces banques versent aux déposants sont proches de zéro, leurs bénéfices sont énormes. Et avec eux, elles peuvent recommencer à développer des produits spéculatifs, avec lesquelles elles comptent refaire les mêmes profits que par le passé, sans que personne ne vienne même, cette fois, leur opposer des réglementations. Et nul ne peut protester: qui pourrait se mettre mal avec son banquier ?

Alors qu’après 1929, des réglementations très strictes ont été imposées aux banques américaines, aujourd’hui, rien n’est imposé à personne. Le G20 n’aura été qu’une jolie comédie. De plus, Wall Street continue à disposer de considérables moyens d’influence. Des lobbys bancaires, fort bien dotés, arrosent le Congrès. Et les banquiers, devenus ministres ou superviseurs, réussissent à écarter toutes les législations qui pourraient gêner leurs ex et futurs employeurs.

En particulier, une seule banque tient tout: Goldman Sachs. Elle est l’objet aujourd’hui d’innombrables analyses critiques, dont la plus acérée est venue récemment du magazine Rolling Stones. Après avoir éliminé ses principaux concurrents, (dont Lehman) , après avoir profité de ces faillites et reçu de l’Etat d’énormes prêts sans intérêt, cette institution plus que centenaire fait aujourd’hui fortune grâce à des décisions prises par Geithner, Summers et les autres, dont chacun sait qu’ils rejoindront un jour la firme , après avoir quitté leurs fonctions, comme le firent avant eux les ministres des précédents présidents, Rubin, Paulson, et autres…

Au total, les entreprises industrielles, qui créent les vraies richesses, financent les erreurs et les bonus des banquiers, avec la bénédiction des hommes politiques. Et en bout de chaine, les salariés en sont les ultimes victimes: les banques américaines enfoncent dans la dépression ceux qu’elles ont déjà largement ruinés.

Ces lobbys sont si puissants qu’on n’en sortira que par une révolution politique. Elle devrait conduire, au moins, à interdire aux responsables publics du secteur financier de travailler ensuite dans les établissements qu’ils contrôlent. Et au plus, à nationaliser ce secteur. Une révolution, vous dis je.

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